« Le rire du sergent, un matin de printemps, m’a fait comprendre comment gagner du galon » – Michel Sardou
Il est dans ce monde des expériences extraordinaires dont on sait que l’on gardera un excellent souvenir pour le restant de notre vie. Le seul petit problème est que l’instant où l’on vit ce moment est des plus désagréables : purgatoire incontrôlable, impuissance absolue et horreur de devoir son salut du bon vouloir de quelqu’un qui nous est complétement étranger.
Notre histoire commence un beau matin de Printemps alors je que prends des photos du poste frontière ensoleillé. Le drapeau Géorgien flottant à 10 mètres de son homologue Azerbaïdjanais, séparé par des barbelés, des palissades et des fils électriques. C’est au moment où je pars explorer le village que deux soldats armés de kalachnikov me charge en me menaçant avec leur arme. La situation pourrait être terrifiante, mais ce sont deux mobilisés, plus jeunes que moi et qui rigolent plus qu’autre chose, ils n’ont pas l’air de vouloir me tirer dessus !
Ne parlant pas anglais, notre discussion est limitée mais dans le doute ils me confisquent mon téléphone et mon passeport, je me sens tout bête, c’est la première fois de ma vie que ça m’arrive. Ils appellent alors d’autres gardes, un douanier et un supérieur hiérarchique. Finis la liberté, je suis capturé par l’armée Azerbaïdjanaise ! Ce que je pensais comme une blague de grands adolescents prend vite une autre tournure…
Le douanier m’est souriant, sympathique et m’explique que tout est en ordre. J’ai le tampon d’entrée dans le pays, le visa et même l’attestation d’assurance. Voyant que j’étais auparavant en Géorgie il comprend également que je ne veux pas y retourner mis mon histoire semble trop louche. « Mais bon sang de bon soir que fais-tu à 3 mètres de la frontière alors ? ». J’essaye de lui expliquer mon histoire mais ils ont du mal à me croire.
C’est alors que le sergent a un éclair de génie, il me prend pour un espion à la solde d’Emmanuel Macron ! Il faut dire que les français sont mal aimés – si ce n’est détestés – ici du fait des propos du chef de l’état à propos du conflit dans le Qarabag. « Ce n’est pas un endroit touristique ici, les touristes vont à la plage, au restaurant ou dans les musées, pas photographier les barbelés ! ». Il faut dire qu’il n’a pas tort, comment vais-je réussir à lui expliquer ma situation …
Un commandant arrive à son tour il prend mon passeport, vérifie que tout est en règle et commence à se demander pourquoi on a arrêté ce jeune français. Mais bon, il est bizarre ce « touriste » ! Avant de me relâcher il appelle tout de même son grand supérieur, le général ou gouverneur militaire de la région. Apercevant la fenêtre de liberté, pensant que tout va s’arrêter, la situation va vite tourner au vinaigre : il est persuadé que je suis un espion ou que je tente de franchir en force la frontière et décide de venir m’interroger personnellement. Ce dernier habite à deux heures d’ici, et je comprends qu’une belle après-midi se dessine en perspective.
Les soldats et le lieutenant me font donc monter dans une jeep, direction la caserne. Juste avant de monter dans le véhicule, le douanier m’attrape par le bras et me glisse avec un grand sourire : « tu n’as pas de soucis à te faire Lucas, tout est en ordre, ça sera juste long ». Parole rassurante, maintenant qu’il est avéré que je suis dans mon droit. C’est cette petite phrase qui m’aidera à tenir tout l’après-midi. Après coup j’ai réalisé le déclic qu’elle avait généré, j’étais dans mon droit, n’ayant rien à me reprocher et une petite voix me murmurait qu’à part perdre une après-midi rien de plus allait s’en suivre. J’ai alors réussi à rester beaucoup serein et confiant que quand j’avais été arrêté par les policiers italien, bien que la situation fut 10 fois moins compliquée !
J’arrive alors à la caserne où je suis accueilli chaleureusement par un autre officier qui me fait assoir dans loge des officiers. Un soldat m’apporte la soupe, avec des patates s’il vous plait ! Anecdotique ou insignifiant me diriez vous ? Pas tout à fait lorsque je comprends que les simples recrues devront se contenter d’une soupe pure. On m’apporte même du pain, quel luxe ! Ce traitement de faveur me fait comprendre que je ne suis pas un terroriste à leurs yeux et que les autres officiers commencent à avoir les mêmes pensées que le douanier.
Une fois rassasié, l’interrogatoire reprend avec le sergent et le commandant. Me demandant comment j’ai fait pour arriver jusqu’ici, je leur réponds que c’est en autostop, comme l’ensemble de mon voyage. Ils ont dû mal à me croire et mes justifications en utilisant google traduction ne sont pas très utiles. Comprenant qu’ils veulent plus de détail, je les informe que mon conducteur possédait une voiture blanche. C’était sans compter que les gardes frontières étaient bien occupés aujourd’hui car en moins de 10 minutes ils retrouvent l’homme et me le passe en appel visio. Scène surréaliste où je me retrouve nez à nez avec lui par l’intermédiaire du téléphone, lui qui semble m’insulter plus qu’autre chose.
Le conducteur ayant raconté une autre histoire que celle que j’ai expliqué aux officiers, s’en suivra de très longues minutes pour pouvoir tout clarifier, en prétextant que je me suis perdu dans le village et que j’ai beaucoup marché. Mes interrogateurs se calment alors coup et commencent à me faire passer le temps. L’un me demande ce que je compte visiter dans le pays, quelle serait la meilleure université française pour son fils et il me donne même un cours de langue Azerbaïdjanaise. Les recrues m’apportent du thé, des friandises et même une tablette de chocolat blanc. J’en profite pour découvrir la vie à la caserne lors du service militaire, vie que je ne connais que par quelques récits familiaux, tellement racontés et déformés que ce sont plus des légendes que des histoires plausibles.
Tout d’un coup un signal retentit, la porte blindée s’ouvre, les recrues se mettent au garde à vous. C’est alors qu’arrive le général, en jean et en t-shirt blanc. Il ne mesure pas un 1m65, a une main dans la poche, des ray-ban sur les yeux et me fait plus penser à un mauvais sosie de Jamel Debouze qu’à un haut gradé de l’armée. Il commence à crier sur tout le monde, c’est alors que 5 jeunes se saisissent de mon sac à dos pour le fouiller, on me fait rasseoir et on m’enlève ma tasse de thé, quelle délicatesse !
Il est arrivé avec un interprète anglais, ce qui facilite les choses ! Répétant pour la dixième fois mon histoire, il c’est de la folie, qu’il n’y croit pas un mot mais qu’il me laissera ressortir si je lui fournis les preuves que cette gigantesque « supercherie » est vraie. C’est alors que je lui montre sur mon compte instagram, les photos des endroits que j’ai traversé, avec la localisation et la date. Un soldat a la bonne idée à ce moment là de trouver la grande carte de mon voyage et de lui apporter.
En quelques secondes, le visage de notre homme change, un petit sourire s’esquisse et il me scrute le visage avec un regard signifiant ; « j’ai compris ». Il me posera encore des questions sur ce que je pense de l’Arménie, des positions de la France en matière de géopolitique où de ce que j’ai pensé du comportement de ces troupes, question qu’il me posera lui-même dans un anglais approximatif pour ne pas être compris des autres.
Voyant que tout est en ordre, il me propose une autre tasse de thé – tiens on a sorti les soucoupes pour le général ! – et scénario des plus incroyable, il me prend en autostop car il habite à deux heures dans la direction où je me rends. Son chauffeur m’ouvre la porte de son véhicule et me voila parti avec le général de l’armée Azerbaïdjanaise. En passant les différents points de contrôles, les recrues assoupies se relèvent au pas de course, remettent leur chapkas pour se mettre au garde à vous au passage de la voiture, quelle expérience.
En voyant le dernier point de contrôle, je réalise enfin que je viens d’être tiré d’affaire, je l’ai échappé belle ! Outre cette épreuve personnelle qu’est un interrogatoire de plusieurs heures, une incertitude complète sur ce qui allait m’arrivé, je réalise que je vais enfin retrouver la liberté, après 4 longues heures avec les militaires. La journée culminera où le général me demanda ma musique française préférée pour la passer dans la voiture. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui passer la fameuse chanson de Michel Sardou : « Le rire du sergent », venant clôturer ironiquement cette journée inoubliable !
FABULEUX mais tellement vrai comme pourrait te confirmer tout voyageur dans un pays post-soviétique ou similaire !
ah oui tu as déjà vécu une histoire similaire ? En tout cas ça reste un très bon souvenir après coup
je me suis retrouvé bloqué pendant une journée sur le maigre espace entre 2 frontières de pays nés de l’ex Union Soviétique avec impossibilité de retourner dans l’un ou d’entrer dans l’autre… puisque le premier refusait que je retourne chez lui sachant que je venais d’en sortir (et donc avait utilisé le visa qu’il m’avait chèrement octroyé et qui en conséquence n’existait plus !) et l’autre – la Russie – considérait que le visa qui m’avait octroyé par son consulat en France – n’existait plus puisque j’avais traversé “un coin” de son frère (qui l’est resté), la Biélorussie avec lequel elle émettait des visas communs… Une négo d’enfer avec des fous !