La mystique vallée du Gange ! Enfin, m’y voilà ! J’aurais tout de même attendu d’entrer dans mon 4ème mois de découverte de l’Inde pour admirer de mes yeux ce fleuve légendaire. Prenant sa source dans les montagnes de l’Himalaya, il s’écoule sur 3000 km avant de se jeter dans l’Océan Indien, au Sud de Calcutta. Il a aussi cette drôle particularité de posséder un débit 60 fois supérieur en pleine mousson comparé à la saison sèche. J’ai la chance de le contempler lorsqu’il est en crue, dans sa pleine puissance, charriant alors tuk-tuks, cadavres, végétaux et autres détritus d’une Inde indigeante.
Mais revenons aux sources, plus particulièrement à la Yamuna. Autre rivière sacrée, c’est le principal affluent du Gange serpentant à Delhi, Vrindavan, Agra et Allahabad, ville où cette dernière se jette dans le mythique Gange. Souhaitant au plus vite m’extirper du capharnaüm d’une ville de 40 millions d’habitants, je retrouve à Vrindavan – en banlieu de Mathura – 8 millions d’Hindous venus célébrer le 5250ème anniversaire de Krishna.
Pendant 2 jours, je suis bousculé, chahuté et malmené dans un attroupement, dans une foule, dans une pagaille qui n’en finit pas. Absolument partout, il y a des milliers de gens et j’ai grand-peine à trouver des endroits au calme. Les seules rues où il n’y a personne sont infestées de macaques qui ne manquent pas de me sauter dessus à la moindre occasion. J’en arriverai presque à regretter la tranquillité du Népal !
Après ces péripéties, je me dirige vers le temple ISKON – Association internationale pour la conscience de Krishna. Une fois déchaussé, je découvre ébahie des cohortes d’Indiens dansant, chantant et quelques fois priant dans un sanctuaire à l’ambiance bien festive. J’apprends en échangeant avec eux que certains ont fait 20 heures de bus pour venir ici seulement l’espace d’un après-midi. Leur ferveur est magnifique, pour ne pas dire captivante. Certains tapent dans les mains, d’autres essaient de lancer de nouveaux chants à la seule force de leurs cordes vocales, bref j’ai l’impression d’être projeté dans une boîte de nuit et non un lieu de culte.
Voyant cela, j’intègre un groupe de quelques jeunes gens qui, me voyant me déhancher, appellent aussitôt leurs compagnons. En l’espace de quelques instants, je suis entouré d’une trentaine d’Indiens qui ne mollissent pas de m’applaudir lorsque soudain l’un d’eux me soulève. J’exulte ! Les fidèles que je continue d’harranguer semblent tous être en transe ! Il y a désormais une cinquantaine de personnes autour de moi, me filmant et essayant de capturer un cliché en ma compagnie. Profitant d’être dans les airs je réalise qu’à perte de vue, tout autour du temple, dans toutes les allées, les gens sont en train de faire la fête. Je comprends mieux pourquoi il s’agit d’un anniversaire.
Quelques coups de pouce supplémentaires me permettent d’arriver à Agra, la cité du Taj Mahal. Figurant parmi les 7 merveilles du Monde, le monument faisant office de tombeau abrite les dépouilles de Shah Jahan et de son épouse. Conçu comme un moyen d’accéder au paradis – le plateau représentant la terre, les grandes arches les portes du paradis et la coupole comme le paradis ou Dieu. Tout de marbre revêtu, le chef-d’œuvre semble simplement parfait. Que ce soit dans ses couleurs, ses formes, ses symétries et l’organisation du complexe environnant, tout est merveilleux et on ne se lasse pas de l’examiner, d’en apprécier chaque détail pour s’émerveiller de chacun de ses recoins. On peut même traverser la Yamuna qui coule à ses pieds pour avoir une superbe vue de l’autre côté !
Je reprends l’autostop en optant principalement pour des voitures, connaissant la mauvaise réputation de l’Uttar Pradesh. Politicien, colonel de l’armée, mécanicien, commercial, ingénieur ou encore un banquier me permettent de relier Allahabad. J’en apprends encore plus sur les disparités qui règnent dans la région et en titillant légèrement mes conducteurs, j’apprends le rôle central de la corruption dans cet état, expliquant sans doute les immenses inégalités. Par exemple, Rama est collecteur de fonds pour le parti politique du président. Ils sillonnent la région en quête de dons d’entreprises, qui ne manquent pas de s’y retrouver par la suite grâce aux avantages accordés par les responsables politiques.
À la confluence de la Yamuna et du Gange se trouve Allahabad – littéralement la cité de Dieu. En me rendant à l’endroit précis où se rencontrent les deux fleuves, je fais face à un immense marché ou bidonville tenu par les intouchables, vendant toutes sortes d’offrandes pour les dieux. Noix de coco, colliers de fleurs, encens, bonbons, cadres, coupoles… on y trouve même des jerricanes afin de pouvoir emporter avec soi un peu du fleuve sacré. Je suis, évidemment, sans cesse harcelé par les mendiants, les vendeurs en tout genre ou les hommes proposant des excursions en bateau. C’est lieux sacrées renferment à eux seuls tout le meilleur et le pire de l’Inde : une tradition millénaire des plus impressionnantes couplés à une pâuvreté exacerbé, poignante et déchirante.
M’avançant toujours plus près de la confluence, je remarque un semblant de ville flottante. Monnayant un pêcheur, ce dernier me dépose sur la plateforme où je suis vite accueilli à bras ouverts. On me fait asseoir, on me fait bénir une noix de coco avant de me demander de m’immerger dans le fleuve 3 fois : pour le Gange, pour la Yamuna et pour mes parents. Je verse ensuite un peu de lait dans l’eau puis je jette les coco qui disparaissent rapidement du fait du courant. Une cérémonie presque loufoque mais en observant autour de moi, je découvre que de nombreux couples viennent ici se marier ou tout du moins se jurer fidélité.
Grâce à un homme ayant fait fortune dans les tapis et les chaises de bureau, j’arrive à la célèbre ville de Varanasi. Ville longtemps fabulée, assez souvent rêvée, on me l’a tantôt présentée comme la ville de Shiva, la ville la plus ancienne du monde ou encore la ville où on brûle les morts. Dans un premier temps, je découvre surtout un enchevêtrement de ruelles peuplées des chiens les plus horribles que je n’aie jamais vus. Certains sont même morts et gisent à même le sol, dans l’indifférence générale. Seul l’odeur pestinentiel m’aide à faire la différence. Je trouve une sympathique auberge de jeunesse avec une vue imprenable sur le fleuve pour me poser quelques jours ici.
Le 1er jour, j’assiste à de nombreuses cérémonies religieuses. L’une d’elles est organisée par 7 prêtres faisant tourbillonner des torches-serpents dans les airs, le tout face au Gange. Le feu sort à travers les têtes des serpents à 7 branches – représentant le dieu Shiva – tandis que le public est en liesse tout le long, applaudissant, commentant, frappant dans les mains ou même en levant les bras en l’air. Un autre rite se déroule dans un modeste temple. Les fidèles tournent autour de l’autel, chantent, s’agenouillent lorsqu’ils passent devant la statue de la déesse Durga – la déesse au lion – et en profitent même pour recevoir la tikka du Brahmane, le prêtre du lieu. À la sortie, on me donne une assiette de sucreries, de la nourriture bénie et purifiée par le dieu.
Le lendemain, je me perds un peu plus dans Varanasi et c’est par inadvertance que je tombe nez à nez avec les Ghats, ces berges aménagées où l’on brûle les morts. La scène est saisissante, surréaliste et j’osais à peine croire qu’il s’agissait réellement d’une multitude de bûchers le long du fleuve. La chaleur des brasiers, les fumées du feu, l’odeur des corps ainsi que le spectacle d’une vingtaine d’orpailleurs épiant les cendres des défunts à la recherche de bijoux ou de dents en or me retournent complètement le ventre et me coupent l’appétit pour les jours à venir. Je suis aussi bouleversé de voir que les membres de la famille sont infimes, si une vingtaine de corps sont en train de brûler on compte à peine 50 personnes. Je ne tiens que 30 minutes devant un tel effroi, bien loin des 2 heures nécessaires pour brûler entièrement un corps.
Le jour suivant, je visite le saint des saints, le tout premier temple de Shiva, celui où il réside ! J’ai du mal à saisir toute l’importance de ce temple d’or, d’autant plus que je devrais m’y ramener quatre fois pour y entrer : « le temple ferme dans 30 minutes, revenez demain », « c’est la pause du matin, revenez après », « les guides sont débordés, revenez dans une heure quand il y en aura un de disponible »… Malgré ces complications, je parviens dans le plus haut lieu de l’hindouisme ! On me remet différents colliers de fleurs, pendant que plusieurs prêtres jouent des instruments. Le temple est ceinturé d’un complexe gigantesque avec une superbe esplanade.
Voyager le long du Gange et de ses affluents se transforme rapidement en une odyssée enchantresse. Parcourant tant de lieux emblématiques d’une Inde millénaire, gorgée de spiritualité et de traditions, c’est aussi plusieurs semaines dans sa région la plus pauvre, la plus catastrophique en matière d’hygiène. On m’avait aussi affirmé que dans plusieurs coins du pays rien n’avait changé depuis des siècles, je peux le confirmer à présent. Le Gange renferme les plus belles merveilles de l’Inde mais aussi le plus de ses horreurs.
Bon récit mais quel courage de se baigner dans le Gange t as été au top
ahah merci beaucoup !!
A la vue de tes cheveux, tu n’as pas plongé !
J’y ai plongé après ne t’en fait pas 😉