« Un sentier dans la montagne
Quand j’aurai besoin d’eau
Un Jardin à la campagne
Pour mes jours de repos »
– Michel Sardou
L’eau c’est la vie ! Il m’aura fallut traverser un désert de 1000 km, vide de toute faune, de toute flore et de toute présence humaine pour pleinement prendre conscience de ce simple fait. Quelques encablures d’irrigations supplémentaires semblent suffire à transformer le désert en un oasis. Comme le chante Dalida : « Il n’y avait pas de rivière, et la bonne et riche et douce terre, n’était que du sable ». Mon expédition à la frontière des terres agricoles fut saisissante ; un simple mètre séparait la plaine fertile et luxuriante du désert absolu où les dunes ensablées s’étendaient à perte de vue. Laissez-moi vous faire un peu de place sur mon tapis volant pour plonger ensemble dans le surprenant monde de l’agriculture ouzbèke !
Ces interrogations agricoles m’ont toujours accompagnées depuis que j’ai quitté l’Europe. Il faut dire que les tracteurs dans les régions les plus reculées de Turquie ont commencé à m’intriguer. Comment si grande nation peut elle se contenter d’un machinisme agricole d’un autre temps ? D’autant que la totalité de la nourriture du pays est produite localement. En Azerbaïdjan beaucoup de nourriture est importée, à la manière des pétromonarchies du golf. En menant l’enquête, les quelques paysans du pays utilisant leurs fourches et outils archaïques ne peuvent subvenir au besoin d’une population urbaine de plus en plus importante.
Ces questionnements que je pourrai qualifier de secondaire face à la compréhension des cultures et des religions dans les autres nations est devenu centrale en Ouzbékistan ; Tant l’agriculture façonne la répartition de l’homme sur les territoires, tant l’agriculture a permis aux descendants de Gengis Khan de se sédentariser. Ces nomades des steppes furent en effet parmi les derniers hommes de notre planète à quitter leurs yourtes, descendre de leurs chevaux pour retourner la terre et à labourer les champs à la sueur de leur front. Ils ont bâtis des cités où rien n’existait auparavant, à l’image des steppes du Nord de Tachkent qui ont vu leur population multiplié par 1000 au cours du dernier siècle. La vie a jailli tel l’eau des sources.
Profitant d’une traversée éclair de 1000 km en seulement 24 heures – alors que je prévoyais de la faire en 3 jours – je décide de relier à pied la ville de Xhiva depuis Ourgentch. Cette traversée de 25 km dans les plaines fécondes fut plus qu’enrichissante : quelle joie que d’observer et d’analyser tous ces paysans et travailleurs des champs pendant tout un après midi. Mes premières impressions sont celle d’être projeté dans un kolkhoze des années 30 : aucune machine, un grouillement d’individus à la productivité plus que discutable et des choix de cultures aberrantes. J’aperçois interloqué une allée de sapin tellement arrosés que les troncs procurent l’impression de jaillir d’une immense flaque d’eau. Ces derniers étant condamnés à dépérir des chaleurs extrêmes de l’été, comme le témoigne leurs grands frères jaunes, sur le point de rendre l’âme.
Les ouvriers agricoles labourent, plantent, cultivent et récoltent l’ensemble des champs à la main. Je ne vois aucun tracteur à l’horizon, seulement des hommes et des femmes avec des faux, des sécateurs et des bêches. Ce travail si minutieux offre un paysage éblouissant composés d’une multitude de parcelles, de cultures, de rigoles, de maigres canaux d’irrigations et surtout de petits groupes de cerfs du XXIème siècle. J’arrive à nouer la discussion avec un des chef, tout heureux qu’un baroudeur au gros sac traverse son domaine. « Ils sont employés à la mission, d’une dizaine de jours généralement ».
La mentalité communiste s’est transformée en un capitalisme arrangé. Le coût de la main d’œuvre si peu élevé incite les nouveaux oligarques de l’agriculture à employer l’ensemble des personnes disponibles, pour la durée nécessaire aux travaux. La précarité du capitalisme s’associe à la pauvreté du communisme. Les effets néfastes de ces deux systèmes antagonistes s’assemblent pour accoucher du pire en Ouzbékistan. Il me semble important de noter qu’après approfondissement du sujet, l’état possède encore le quart des terres agricole. Les kolkhozes existent donc encore 100 ans après le dernier souffle de Lénine.
La culture du coton à l’export a rendu la totalité de l’économie ouzbèke dépendante des cours de cette matière première. Ceci au grand damne des habitants voyant leurs employeur venir ou repartir à mesure que les cours de la bourse du coton montent ou descendent à des milliers de kilomètres de là. L’état, les grands propriétaires terriens ainsi que les petits paysans tentent de diversifier les cultures ; blé, orge, riz, pomme de terre et autres légumes germent dans tout le pays. Même si la production de coton a été divisé par deux depuis la chute de l’union, le pays reste le deuxième exportateur mondial. Ainsi le coton représente 20% de l’ensemble des exportations du pays.
Il ne reste plus qu’à espérer que l’argent des hôteliers de Samarcande, des tradeurs de Tachkent ou des restaurateurs de Boukhara ruissellera jusqu’aux travailleurs agricoles de la région du Ferghana. 100 ans après la mort de Vladimir Ilitch, il semble que les inégalités n’ont jamais été si importantes ici. Cependant plusieurs échanges m’ont donné beaucoup d’espoir ; avec Salahudin étudiant en économie : « Il faut développer le pays. Je souhaite étudier en Amérique et revenir ici. Mon pays c’est L’Ouzbékistan ». Avec Ravchan : « Si Dieu le veut, je construirai une école pour instruire les enfants de mon village ». Ou encore avec Iroda : « Je veux que ma fille apprenne le français pour qu’elle puisse reprendre mon agence de tourisme ».
Ces différents témoignages dévoilent l’immense conscience collective des Ouzbèkes, à l’image de leur générosité et de leur bonté de cœur. Ils laissent planer l’espoir que l’avenir sera bien meilleur pour le bon peuple ouzbèke.
Ah ! Enfin de retour.