“Mes plus beaux chevaux noirs
Attendaient que la guerre
M’appelle à d’autres jeux,
Et dans cette autre vie,
Que j’étais heureux !”
– Michel Sardou
Si nos sociétés européennes ont rapidement troqué la chasse et la cueillette pour des villages et des champs, les sociétés d’Asie centrale sont restées nomades jusqu’au début du siècle dernier. Dans cette dynamique des peuples en mouvement perpétuel, les yourtes font places aux maisons tandis que les troupeaux remplacent les cultures. On comprend alors dans ce paradigme des civilisations tout l’importance des bovins, des moutons ou biens des chevaux. Le cheval, plus qu’aucun autre animal permet aux hommes de se nourrir et de se déplacer, ce qui l’élève en symbole de ces peuples des steppes.
Le cheval occupe une place particulière dans le cœur de tous les habitants de la région. Pour comprendre ces fils de nomades il faut contempler le galop d’un groupe de chevaux sauvages, boire le Kumuz – lait de jument fermenté – au réveil, manger le bichparmak– soupe à base d’oignon et de viande d’équidé – au dîner, monter l’animal en plein milieu de la steppe, déambuler dans les marchés aux bestiaux, marchander des étriers, admirer les échoppes de selles, aller le weekend admirer le Kok-boru – sport national kirghize, semblable au foot où les joueurs sont montés et le ballon remplacé par un mouton mort – ou encore ressentir la relation si particulière qui unie le cavalier à sa monture.
Le cheval c’est une ode à la liberté et à ses grands espaces qu’il permet d’embrasser. C’est l’élément de tous les possibles et les kirghizes, les kazakhs ou bien les mongols l’ont compris depuis longtemps. Ce n’est pas pour rien si Dorkan m’a confié : « Je veux que on fils soit un bon cavalier, comme moi-même et comme le fut mon père. Nos ancêtres avaient besoins des chevaux, c’est une manière de les honorer que de savoir monter à cheval ».
Pour beaucoup de ces anciens cavalier des steppes, le cheval permet à la fois de conserver leur âme nomade tout en transmettant les coutumes et les traditions ancestrales de leurs aïeuls. Si son utilité a pu être mise à mal par les pick-up Toyota, le cheval et tout ce qu’il représente reste omniprésent dans ces sociétés post soviétiques. En effet, ces dernières voulant retrouver une identité culturelle forte depuis la chute de l’union, elles se sont tournées vers le cheval, l’animal parfait pour faire ressurgir leur gloire d’antan. Au delà de l’identité culturelle, le cheval incarne surtout la liberté ; la multiplication des représentations d’équidés, depuis la fin de l’URSS, illustre bien cette valeur retrouvée. Ainsi, les places des villes sont aujourd’hui ornées des grands conquérants de la steppe, afin de rendre hommage à tous les cavaliers qui ont forgés l’identité de ces peuples et qui ont chéris la liberté.
Ces statues équestres font galoper les neurones de mon imagination. Comment ne pas se rêver un instant en cavalier de l’armée du grand Khan que rien ne peut arrêter ? Cuire sa viande sous la selle, changer de monture régulièrement pour toujours avancer, piquer son cheval pour boire quelques gouttes de sang afin de continuer sa chevauchée ? Ces empires des steppes, craint dans tous les recoins de l’Eurasie, nous apportent tellement plus qu’un mode de vie nomade ; ils nous prodiguent et inculquent un véritable état d’esprit, une façon d’être.
La mobilité des yourtes et des troupeaux octroi une liberté absolu à ces populations. Aller paître dans cette vallée car elle nous plaît, galoper dans cette prairie car on la sent bien ou encore vivre au rythme du soleil et se passer de l’horloge du clocher nous témoigne ô combien la liberté étaient chers aux Kirghizes et aux Kazakhs.
En voyageant sac au dos, je suis moi-même un peu nomade. Très régulièrement je change d’endroit pour dormir. Je plante quelques fois ma petite « yourte » et je vais visiter tel ou tel ville au grès de mes présentiments et envies. Depuis maintenant 40 jours en Asie centrale je réalise de plus en plus les similitudes entres les modes de vie nomades, que l’on soit cavalier des steppes ou autostoppeur. Pas de routine, faire ce que bon nous semble et se déplacer où nous le souhaitons, me fait prendre conscience, chaque jour, que j’ai beaucoup à apprendre de ces peuples.
Ces deux modes de vie reposent chacun sur un élément essentiel. C’est un simple attribut permettant cette liberté complète et qui assouvit également les besoins du nomade. Pour l’un il s’agit du cheval, pour l’autre il s’agit du pouce. Si le cheval permet de se déplacer, de se nourrir ou de faire des rencontres, je peux vous affirmer qu’il en est de même pour le pouce. En revanche je ne sais pas si un cheval serait capable de relier la France aux îles Chatham. Je pense en effet qu’un pouce sera plus adéquat pour traverser les mers.