Le Dalaï lama – Poucepour1

Le Dalaï lama

« On ne parle à Jéhovah
À Jupiter à Bouddha
Qu’en chantant »

-Michel Sardou

Certains moments, empreints d’une unicité rare et d’une magie envoûtante, transcendent le temps lui-même. Dès lors qu’ils se manifestent à notre existence, nous en saisissons la portée éternelle, sachant qu’ils demeureront à jamais gravés dans nos souvenirs et nous accompagneront tout au long de notre voyage sur cette terre. Ma rencontre avec Sa Sainteté le Dalaï Lama fut de cette trempe-là. Un de ces instants qui marquent une vie à jamais. Cette rencontre avec le vénérable chef spirituel des bouddhistes tibétains, lauréat du prix Nobel de la paix, vint couronner une semaine de rencontres enrichissantes, de réflexions profondes et de philosophies, au sommet d’une montagne. Permettez-moi de vous narrer mon séjour à Dharamshala.

Mais revenons au commencement, comment me suis-je retrouvé à être béni par le Dalaï Lama ? Moi qui ne devais même pas passer par ce pays… Le refus obstiné du visa chinois fit surgir de nouvelles opportunités, et serrer la main de celui qui incarne le combat pour l’autonomie de sa terre fut une belle revanche du destin. Mes hôtes du Penjab m’avaient conseillé d’explorer l’Himalaya dans la petite bourgade de Dharamshala. Il n’en fallait pas plus pour me décider ; Ces paroles furent le déclic qui enflamma ma détermination Je suis toujours les conseils des locaux, et quelques coups de pouce supplémentaires m’ont permis d’y arriver.

Poèmes tibétains, singes sautant de branches en branches, moines rasés en tunique rouge, restaurant tibétain, nombre de touristes affolant et température estivale… J’eus l’impression d’avoir quitté l’Inde bouillonnante pour me réfugier dans une parenthèse suspendue à 1800 mètres d’altitude. Randonnées, parties d’échecs avec les vieux du village ou encore discussion au sein de l’auberge de jeunesse se sont succédé le temps d’une journée, avant que je ne rencontre Penta et Guillaume, deux êtres qui allaient chambouler de la plus belle des manières ma semaine mémorable.

Je me dois d’être honnête avec vous, en arrivant dans la ville je ne savais même pas que le Dalaï Lama s’y trouvait. Heureusement, j’ai entendu Penta – franco-tibétain – et Guillaume parler dans ma langue… Je leur ai glissé un « bonsoir », la discussion était lancée et j’ai ainsi pu séjourner 4 jours chez le cousin de Penta. Au cours de cette soirée, Penta m’a tout appris ; l’histoire du Tibet, la présence du Dalaï Lama et surtout son histoire tragique d’avoir fui le Tibet à 11 ans, sans sa famille.

« Je vais rencontrer le Dalaï Lama demain », m’a-t-il ensuite lancé. J’ai explosé de rire comme il le fallait, pensant aveuglément qu’il était impossible de rencontrer une telle éminence. Après de longues explications, la réalisation s’imposa à moi : Sa Sainteté était accessible. Mon esprit fut en ébullition tout au long de cette nuit, et dès neuf heures du matin le lendemain, heure d’ouverture, je me tenais devant les portes de son bureau pour solliciter une audience. Hélas, l’agent du bureau ne voulait pas me recevoir ; « envoyez un mail ». Peu convaincu, j’ai décidé de rédiger un premier mail lorsque Penta arriva. En lui expliquant la situation, nous sommes rentrés dans le bureau. J’ai pu justifier que j’avais envoyé un mail et obtenir de la part de l’homme une réponse légèrement plus développée ; peut-être vendredi ou lundi…

Les jours suivants, nous en avons appris beaucoup plus sur l’histoire du Tibet avec Guillaume ; nous avons même pu accéder aux archives contenant les premiers manuscrits bouddhistes ! Il faut dire que Penta jouit d’une certaine notoriété, il a passé une dizaine d’années ici… Chaque échoppe, chaque sentier, chaque personne qu’il croise lui remémore des souvenirs.

Lors de mon attente, j’ai rencontré des personnes très inspirantes, j’ai beaucoup discuté, philosophé et même refait le monde. Il y a une énergie spéciale dans cette petite ville, comme si l’aura du Dalaï Lama irradiait toute la montagne. Nombre de voyageurs, happés par cet enchantement, s’y attardent des semaines, voire des mois, incapables de se défaire de ce coin de paradis, à la manière des compagnons d’Ulysse chez Lotophages. Tiens donc ? Lotos ça ressemble beaucoup à lotus, symbole de multiples religions dans ce pays. Faut-il y voir un signe ?

Un autre jour, nous allons à la grande école tibétaine avec Penta. Elle regroupe 3000 enfants, dont la grande majorité sont des orphelins. Ils ont fui le Tibet sans leurs parents. Ils se retrouvent désormais dans cet pensionnat géant à vivre dans des dortoirs de 16. Leur sort n’est pas bien différent des petits choristes du film de 2004. En arrivant dans les lieux, en revoyant sa chambrée et ses enseignants, mon ami est submergé par l’émotion. Pour la première fois depuis 6 ans, il revoit la cantinière qui lui faisait à manger tous les soirs, son prof de maths, son prof de sport, etc. Revoir les lieux est tout aussi bouleversant et je ne manque pas de l’être moi aussi.

Penta est emballé par mon projet d’aller parler aux enfants. Il demande alors une audience avec la grande directrice pour discuter d’une possible intervention dans l’école. D’abord réticente, mes explications progressives et les preuves de mes « conférences » dans d’autres écoles finissent de la rassurer, je reviendrai demain me présenter aux lycéens. Nous rentrons chez son cousin, retrouver Guillaume ainsi que d’autres amis pour passer une soirée d’anthologie au clair de lune.

Le lendemain, à 10h58, devant la porte de classe, je suis avec le prof de maths, parlant peu anglais et très peu bavard. Je pense que les enfants ont 16 ans, mais je ne sais rien de plus. La sonnerie retentit, je pousse la porte, ils sont tous bras croisés à me fixer avec les yeux bien ouverts. Je les regarde en souriant et leur explique rapidement que je ne suis pas bien plus âgé qu’eux. Je déroule alors ma présentation, je développe mon projet, le but de mon intervention, ce que j’apprends de mes rencontres, les valeurs importantes pour l’autostop, mais nécessaires pour bien vivre en société… Ils sont captivés. Au fur et à mesure que je raconte mes histoires, ils voyagent. Leurs réactions sont fascinantes : sourires, joies, peurs, tristesses… ça doit leur faire du bien, eux qui ne sont pas sortis du campus depuis qu’ils y sont arrivés… Ils me posent toutes sortes de questions, et c’est un réel plaisir d’essayer de les faire sortir de leur quotidien et de leur présenter le monde extérieur.

Le jeudi et le vendredi s’écoulent sans avoir la moindre nouvelle de Sa Sainteté… Serait-ce pour la semaine prochaine ? Le Dalaï Lama va partir dans une retraite méditative, aurais-je la chance de le rencontrer ? Tant de questions qui commencent à me torturer l’esprit, moi qui suis dans cette bourgade depuis déjà 5 jours complets, l’envie de tendre le pouce me démange un peu. De plus, l’audience aurait dû être vendredi, vais-je devoir passer un week-end ici ? Penta est reparti et je suis désormais seul avec Guillaume. C’est alors au moment où je ne m’y attendais le moins, vendredi à 17h, que je reçois un email m’invitant le lendemain à 7h00 devant le palais du 14ème Dalaï Lama !

J’ai eu bien du mal à dormir cette nuit-là, en même temps je m’apprête à vivre quelque chose d’exceptionnel, quelque chose d’unique dans une vie. Le soleil est déjà levé quand je me retrouve devant le palais. Je fais la connaissance d’un couple de Londoniens, d’une Russe, d’un Américain et d’une Canadienne. Tout le monde est surexcité, et il n’est pas déplaisant d’échanger des parcours de vie ayant conduit ces individus à se retrouver ici avec moi : prof de yoga, homme ayant fui le service militaire en quête de sens, chirurgien cardiaque, amateur des énergies, autostoppeur…

Après une petite heure d’attente, nous entrons dans une petite cour. Une fouille exceptionnelle, un contrôle d’identité et d’autres conversations existentielles plus tard, on nous fait signe d’avancer. Nous marchons sur 200 mètres, puis à quelques dizaines de pas de nous, un vieillard chauve en tenue jaune apparaît : le Dalaï Lama est devant moi ! Nous faisons alors la queue, on nous remet le bandeau jaune autour du cou et je trépigne d’impatience. Je me rends compte que chacun a préparé des cadeaux, une question ou quelque chose à dire à Sa Sainteté ! Que vais-je lui dire ?

Mon tour arrive, le temps s’arrête. Son interprète lui présente qui je suis : « Lucas, 22 ans, France ». Il prend ma main puis me bénit. Je saisis alors l’instant comme pour attraper ce moment à jamais : « Je suis venu vous voir depuis la France uniquement en autostop, ça fait 15 000 km ». Il ne comprend pas trop de quoi il s’agit : « autostop, autostop ? ». Son conseiller lui explique de quoi il s’agit. Le chef de file des bouddhistes explose alors de rire, se saisit de mon pouce et le frotte sur son front. On me fait alors signe de circuler. Nous prenons une photographie de groupe et en repartant des moines nous remettent une enveloppe et un petit collier rouge, symbole que nous avons rencontré le Dalaï lama.

5 8 votes
Note de l'article
Subscribe
Notify of
guest
2 Commentaires
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires
Jean-Pierre

Je suis sûr que tu as oublié de lui dire que tu avais escaladé La planche des belles filles !

2
0
Would love your thoughts, please comment.x
()
x