Le devisement du monde – Poucepour1

Le devisement du monde

« Loin, aussi loin que je peux
Et plus loin si tu veux
Par-delà les frontières

Loin, plus loin que l’au-delà
Où l’horizon se noie
Dans le ciel et la terre »

 

– Michel Sardou

 

L’immense avantage que procure le voyage en autostop est une avancée « lente » à la surface du globe. Réalisez qu’un vol Paris-Almaty dure une petite dizaine d’heures alors qu’à la force de mon pouce ce trajet m’a pris 3 mois. 90 jours à travers lesquels je faisais quelques centaines de kilomètres par jour au maximum. Cette chance que de voyager à un rythme calme, reposé et lent m’a permis d’observer l’évolution progressive des paysages, des cultures et des hommes.

C’est un luxe extraordinaire que de pouvoir comprendre et voir de ses propres yeux les évolutions successives, au fur et à mesure de ma route. Ces observations et analyses ouvrent les portes de la compréhension des peuples dans toutes leurs facettes ; géopolitique, agriculture, langage, tradition… Tout au long de mon voyage je me questionne sur des sujets extrêmement variés et la magie de l’autostop me permet toujours de trouver des interlocuteurs à même de répondre à mes interrogations.

 

Aujourd’hui je vous prête mes yeux pour découvrir les paysages du monde. Attachez votre ceinture et montez à l’arrière de la voiture qui vient juste de s’arrêter pour débuter ce voyage de 10 000km…

Votre périple débute dans les paisibles contrées de Lorraine avec ses vertes collines et forêts millénaires. Si les vallons laissent placent à des vastes plaines viticoles en Bourgogne, le véritable premier changement est au sud de Macon. Vous avez votre première sensation d’être dans le « Sud » et cette zone frontière s’étale jusqu’au sud de Lyon.

Vous plongez dans une ambiance méditerranéenne qui vous accompagnera longtemps. Bien sûr la Grèce n’est pas la Camargue mais bon, vous n’êtes plus dans les forêts du Nord de l’Europe : Les Cévennes ne ressemblent en rien aux Vosges.  Vous venez de quitter le monde germanique pour le monde latin. Le mercure monte au fil des kilomètres que vous enchainez et après plusieurs centaines de kilomètres supplémentaires vous arrivez face à la Méditerranée, quel cap !

Vous remontez alors les villes portuaires ; Marseille, Nice, Gênes jusque Rome. Franchir les cols des Alpes, traverser les paysages toscans jusqu’aux oliviers du forum romain vous fait ressentir la dolce vita : vous enlevez votre pull et chaussez vos sandales pour partir découvrir la ville éternelle. Les Apennins, colonne dorsale de l’Italie se dressent alors devant vous. Vous pénétrez dans la chaine des Abruzzes, redescendez jusqu’aux plaines des Pouilles pour embarquer à Bari et naviguer sur la mer Adriatique.

Vous êtes émerveillés par les paysages du Sud des Balkans ; sommets enneigés, lacs d’altitude et cette absence complète de plaine vous accompagne jusqu’à Thessalonique. Longer le bord de mer, admirer les petites plages de sables fins, les couchers de soleil rouge ou bien les vergers d’agrumes sont devenus des habitudes depuis déjà plusieurs semaines, mais bon, vous ne vous en lassez pas ! Arriver à Istanbul vous emplit d’émotions et de fascination, c’est comme si un envoûtement s’abattait sur vous. Sur les quais du Bosphore se profile devant vous l’immense Asie. Vous quittez l’Europe, continent si petit, si familier, si connu pour découvrir les mystères du plus grand continent du monde.

D’Istanbul à Ankara, vous commencez votre périple vers les contreforts de l’Anatolie ; véritable bascule vers un autre continent. Roches, falaises et absence complète de prairies ou de champs vous étonnent au plus au point. Cette atmosphère rocailleuse culmine alors en Cappadoce où les cheminées de fées, les falaises de grés et les vallées poudrées vous accueillent à bras ouvert. Si à travers 4000 km vous pouviez ne serait ce que vaguement identifier les paysages à des campagnes familières ou françaises, il n’en est plus rien à présent. Cette Turquie centrale fait voler en éclat toutes vos certitudes.

Vous repartez sur la route et les bornes se succèdent. Un deuxième choc survient rapidement : tout devient gigantesque. Votre relation à l’espace n’est plus la même. Vous découvrez que chaque mètre de terrain n’est pas exploité, travaillé et occupé comme en Europe. Le vide et les grands espaces font leur apparitions. Pour la première fois depuis votre Lorraine natale, les lieux et les villes vous donnent un avant goût d’Asie et de démesure. C’est tout un monde qui s’écroule. Vous réalisez que les orangers de la méditerranée sont déjà bien loin…

Ces paysages anatoliens se transforment ensuite en plateaux puis laissent place à l’immense Ararat. Montagne parmi les montagnes, ce haut lieu ou Noé descendit de l’Arche règne à cheval entre la Turquie et l’Arménie. Puis advient le Caucase, barrière naturelle entre la mer Noire et Caspienne qu’il vous faut escalader. Votre véhicule grimpe des cols à plus de 3000 mètres pour arriver en Géorgie, où vergers et vignes vous sourient. Les secousses de la route vous font réaliser l’état des infrastructures tout en vous donnant une idée de la richesse de la nation.

Une fois en Géorgie c’est le début d’une longue plaine à travers un corridor de cimes enneigées, débouchant sur la ville de Tbilissi. Après quoi les alpages s’effacent un instant pour donner leur place à quelques cultures, bien vite remplacé par un désert aride, celui de l’Azerbaïdjan. Vous continuez d’avancer sans regarder derrière vous mais le désert devient de plus en plus grand. Le vert a disparu, les nuances de jaune, d’ocre, d’ambre et de safran s’offrent à vos yeux ébahis. Puis, comme par enchantement, le désert s’arrête, laissant place à la mer Caspienne. Le bleu du ciel, mélangé à celui de la mer et des nuances dorées du désert vous offre un décor digne de l’Arabie ou de l’Afrique du Nord, mais en aucun cas un souvenir de méditerranée vient à votre esprit.

Après quelques jours de traversée sur une mer calme et ensoleillée, vous voilà en Asie centrale. Le Manguistan est votre première impression du Kazakhstan. Gigantesque, vide de toute vie, vous êtes surpris à chaque fois que vous croisez des véhicules et que vous voyez des restaurants pour routier même si c’est tous les 60 kilomètres.

100, 200, 300… 1000 km de désert ! Vous voilà à Noukous, la porte de l’Ouzbékistan. Cette traversée du désert vous a donné cet impression que rien ne changeait au fur et à mesure des kilomètres, tout était plat, jaune, sans végétation avec quelques troupeaux de temps en temps. Pourtant vous êtes passés de la plus grande mer fermée du monde aux Oasis fertiles de la vallée du Sirdarya.

C’est alors une explosion de champs, de vergers, de rivières, de canaux d’irrigations, de population de villages, de villes, bref de vie. Ce retour à la vie après 1000 km dans le néant vous fait apprécier d’autant plus ces paysages ouzbèkes. Ces quelques régions regorgeant d’humanité sont d’autant plus impactantes que le désert reprend après Khiva. Il vous faudra effectuer un autre millier de kilomètres pour arriver à Samarcande et pour que la verdure s’installe de manière durable et pérenne.

Collines, petites montages, cours d’eau et agriculture raisonnable donne à cette simple fraction du monde les allures du jardin d’Eden. Les hommes sont bons et remplis de générosité à l’égard du voyageur que vous êtes. Vous êtes tout éberlué de rencontrer des personnes aussi charmantes après 10 000 kilomètres à la force de votre pouce. Puis vous revenez au Kazakhstan où les gens semblent de nouveau avoir disparu : le silence domine, vous voilà dans les steppes !

Vous suivez pendant des centaines de kilomètres le piedmont des montagnes. A cheval entre les collines et les steppes, vous comprenez de mieux en mieux cette notion du vide. Dans les steppes il n’y a aucune trace humaine. Pour autant le règne animal semble également inexistant. Ce n’est pas un désert comme le Sahara ou de la roche à perte de vue comme en Turquie, c’est la steppe. Une formation herbacée discontinue s’étendant partout. Votre perception de l’espace oscille entre le vide, le néant et l’omniprésence de ce paysage, tant rien ne semble changer…

Lentement à l’horizon se dresse le profil d’immenses montagnes, elles sont plus hautes que toutes celles que vous avez rencontrées depuis votre départ. Des pics et des sommets tous plus hauts les uns que les autres se dessinent, au fur et à mesure que votre véhicule avance vers l’Est. En arrivant à Almaty, vous réalisez que vous êtes au pied de l’Himalaya ! Vous l’avez fait ; rejoindre cette mythique chaîne de montagnes sans quitter la terre et la mer. L’émotion qui vous submerge est à la hauteur de ces monts d’exceptions. Vous imaginez d’un éclair qu’une traversée de cette gigantesque structure géologique vous emmènerez en Inde ou bien en Chine.

Si tout au long de votre voyage vous aviez du mal à sentir votre éloignement du fait d’une avancée continue par saut de puce, vous dire que vous êtes à 1000 km à vol d’oiseau de l’Everest, plus haut sommet du monde, vous fait prendre conscience d’un seul coup que vous êtes en Asie, que vous avez déjà grandement voyagé et que vous êtes un aventurier !

 

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Lft

Quel chemin parcouru ! Et tant de découvertures aussi riches qu’inattendues ! Merci Lucas de nous faire partager ton fabuleux périple.

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