Mariage Lao – Poucepour1

Mariage Lao

“On est là pour boire un coupOn est là pour faire les fousEt pour se reboire un coupEt pas payer nos verres”

-Michel Sardou

Aujourd’hui, un mariage se déroule à Huay Bo. Quelle joie d’assister à un tel événement pendant mon séjour, merveilleux reflet de la culture et de la société laotienne ! Les convives affluent des bourgs environnants et même de la capitale ; le petit village au milieu des montagnes est plus que jamais bouillonnant de vie ce jeudi-là.

Le mariage débute en plein milieu de la nuit, au moment où les cris du cochon agonisant réveillent les derniers dormeurs. En sortant précipitamment de mon cabanon, je constate que tout le monde est déjà à pied d’œuvre : découpe de viande, mijotage des ragoûts, épluchage des légumes, mise en place des tables, installation du chapiteau, câblage électrique, distillation de l’alcool de riz – le fameux lao lao – et préparation des épices. Le soleil n’est pas encore levé que les hommes goûtent déjà leur distillat, à près de 50 %, pour s’assurer de sa bonne qualité…

En faisant des allers-retours dans la demeure de Kee, qui fait également office de mairie, je tombe sur un document crucial : l’acte de mariage. Bien qu’il soit rédigé en laotien, un chiffre exorbitant attire mon attention, c’est la dot de la future mariée, s’élevant à 35 millions de Kips, soit 1800 euros. Je reste bouche bée pendant quelques instants. Cela représente 50 fois le salaire moyen du pays. Je n’ose même pas imaginer la fortune que cela représente pour ces habitants du bout du monde, vivant en quasi-autarcie. C’est peut-être le prix de leur maison ? Doivent-ils emprunter ? Pour combien de temps ? Un tas de questions fourmillent dans ma tête sans vraiment trouver de réponses. La seule certitude est que le mariage de leur fille constitue l’investissement de sa vie entière…

En milieu de matinée, les proches se retrouvent à la maison de la mariée pour célébrer la cérémonie religieuse. Dans une pièce sombre, quelques futons et tapis sont disposés sur le sol pour accueillir les invités. Assis sur ses genoux, un prêtre récite des chants liturgiques, allume des bougies et parfume la salle d’encens ; que des similitudes avec nos propres traditions ! Pour officialiser le mariage, une cordelette blanche est nouée entre les deux époux, un beau geste symbolique représentant leur union pour toute la vie. Les membres de la famille font de même, car au-delà de choisir une personne, on épouse également une famille. Pendant tout ce temps, les convives n’hésitent pas à manger ou à boire, même de l’alcool !

Une fois la cérémonie religieuse terminée, nous sortons tous en direction des tables pour déjeuner ; il est 11 heures. La mariée en profite pour s’éclipser discrètement. Elle revient vêtue d’une tenue bien plus légère, laissant entrevoir un joli ventre arrondi. Aussitôt l’union proclamée, elle ne cache plus sa grossesse ! Cette heureuse nouvelle révèle cependant une triste réalité et me laisse avec un goût amer : tous les mariages auxquels j’ai assisté depuis mon départ sont organisés en hâte pour éviter une naissance hors mariage. Selon les normes de toutes les religions du monde, cela semble être l’une des pires choses qui puisse arriver à une femme…

Ces unions, où l’écart d’âge est colossal – 31 et 20 ans aujourd’hui – et où la jeune femme semble épouser davantage une famille qu’un mari, me bouleversent et me laissent avec une grande tristesse Pourquoi en arriver là ? Nos sociétés occidentales ont peut-être le défaut de désacraliser le couple et la famille, mais elles accordent tellement plus de libertés des mœurs. Malheureusement, ce concept semble encore trop étranger à de nombreux hommes sur notre planète, écrasés par des dogmes et des traditions. Comme au cours de mon séjour en Ouzbékistan, la jeune femme tombe enceinte du premier homme qu’elle rencontre et se retrouve aussitôt prisonnière d’une vie de femme au foyer pour le restant de ses jours.

Pour le repas de mariage, j’ai le privilège de partager la table des mariés avec Kee, les personnes venues de Vientiane et deux touristes australiens. Nous dégustons du riz gluant, de la soupe de melon d’hiver et une salade de légumes agrémentée de peau de cochon, le fameux laap. Suite à la mise à mort de l’animal, toute la viande et tout ce qui pouvait être mis en valeur sont vendus ; modeste moyen de compenser les frais de l’événement. Les convives commencent à ripailler, à chanter et à s’amuser dans l’allégresse générale. La musique est tantôt américaine, tantôt traditionnelle. Le son est généré par une enceinte câblée à ni plus ni moins que le tracteur, servant d’appoint électrique. Soudainement les basses changent, c’est l’ouverture de bal. Je ne manque pas d’acclamer les mariés qui s’offrent la première danse, que la fête commence !

Enfin pas pour tout le monde. Si certains Laotiens ne sont plus en état de faire grand-chose, victimes d’une surconsommation d’éthanol, une vingtaine de villageois, non invités, nous observent en silence, à une trentaine de mètres de là. Je suis une nouvelle fois éberlué, que dire, désemparé. Contrairement à ce qu’affirmait M. Kee, tout le monde ne fait pas la fête aujourd’hui. Bien loin de la communion de tout le village, les différences s’exacerbent davantage qu’à l’accoutumé en cette journée si particulière. Il y a ceux qui sont invités car et ceux qui ne le sont pas… quelle déchirante réalité.

Les inégalités au sein de cette micro-société sont gargantuesques. Mais qui l’aurait cru ? Moi qui m’attendais à arriver dans un hameau autonome où chacun s’entraide, je dois avouer que je me suis trompé sur toute la ligne. La hiérarchie est très présente et Huay Bo semble être aux antipodes de la société indépendante et égalitariste que je croyais trouver. Bien loin de l’utopie des communautés hippies, ce village lao ressemble davantage à une société médiévale, avec ses seigneurs, ses serfs et ses gueux…

La vie est en effet bien rude à Huay Bo. Ces grands-mères dont les rides dévoilent les labeurs d’une vie, ces enfants pieds nus qui travaillent dans les champs au lieu de jouer avec les copains, ces vieillards qui apportent la nourriture quotidienne aux cochons à la force de leur pauvre épaule, ces pères de famille qui partent chasser aux aurores pour agrémenter le riz du jour et tant d’autres villageois le démontrent chaque jour un peu plus. Bien que les sourires soient toujours présents, je prends conscience que la vie de la famille Kee est au-delà de l’exceptionnel ici.

Bien sûr, je me dois aussi de parler de l’enclavement du village, complétant ce bien obscur tableau. Dépourvu de commodités, il faut marcher 8 kilomètres, traverser deux rivières à gué et sillonner 2 heures à travers les rizières pour arriver à Muang Noi. Dans ce bourg de 800 âmes, l’on peut trouver un semblant de pharmacie, un collège, une épicerie, de l’électricité ou encore du wifi. Avec un prix de l’essence comparable à la France, la marche est souvent la seule option pour les plus démunis qui ne s’y rendent qu’occasionnellement, si ce n’est jamais. 16 kilomètres dans une journée, ce n’est pas à la portée de tout le monde…

Ces 43 maisons sont sans nul doute le sanctuaire de bien des personnes. Au-delà de leur existence difficile, se rapprochant plus de la survie qu’une vie de plaisirs comme on jouit en Occident, leur isolement sans pareil dans mon voyage confère une touche de bout du monde inégalé à ce village. C’est ce qui me plaît à Huay Bo. Pas d’internet, pas de chauffage, pas d’eau courante, pas de frigo et tant d’autres aspects du quotidien me permettent de connaître ce qui a pu être la vie de mes aïeux. La sensation incroyable d’inverser le cours du temps, de remonter les méandres de l’histoire et d’échapper à notre société ultra-mondialisée est indescriptible. Chaque journée est si enrichissante ; je comprends à présent tant des problématiques qui m’étaient inconnues ou que je trouvais absurdes. Notre monde est beau et vaste : il existe encore de ces oasis de l’authenticité partout sur notre planète, à nous de les trouver…

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Miss See

Merci pour ce très intéressant récit, détaillé avec tant de simplicité, de bienveillance et d’empathie. C’est un vrai plaisir de te lire, voir le monde à travers les yeux d’une personne aussi sensible que tu sembles l’être m’a permis, un instant, de me croire là bas moi aussi 😉. Merci aussi pour ce moment d’évasion fort sympa🥰 !

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