Le Népal au delà des apparences – Poucepour1

Le Népal au delà des apparences

Sérénité, tranquillité et majesté. Voilà ce qui m’envahit l’esprit lorsque je franchis le poste-frontière indo-népalais, les étoiles plein les yeux, impatient de découvrir le pays de l’Everest. Ce poste est d’ailleurs bien différent de ceux qu’on trouve en Asie centrale où j’étais bousculé au milieu d’un troupeau d’une centaine de personnes. Les gens se repoussaient de tous les côtés et n’hésitaient pas à s’insulter de temps à autre pour doubler ou éviter de l’être. Ici, un petit cabanon faisant office de bureau de l’immigration permet de faire tamponner mon passeport et d’acquérir mon visa, tout simplement.

Après un détour à Lumbini – lieu de naissance de Bouddha – je quitte la vaste plaine du Gange pour me lancer à l’assaut de l’Himalaya. Dans une atmosphère brumeuse, les collines se transforment en montagnes et je suis enveloppé d’une végétation luxuriante. Les petits villages émergent à l’horizon, accompagnés de rizières en terrasses, de cascades et bien évidemment des rabatteurs de bus. Ces derniers ne comprennent pas comment un voyageur, armé seulement de son pouce, peut envisager de traverser l’Himalaya.

Il est vrai que les Népalais ne possèdent pas de voiture personnelle. Les scooters et les motos sont donc mes seuls espoirs de traverser le pays. L’attente est plus longue, le trafic plus rare, et les Népalais qui s’arrêtent ne me prennent pas toujours, prétextant qu’ils ne vont pas assez loin pour m’aider. Je réalise alors la véritable ampleur du défi qui m’attend pour parcourir les 200 kilomètres me séparant de la frontière jusqu’à Pokhara.

Sur une route vertigineuse perchée à plus de 2000 mètres d’altitude, entourée de sommets olympiens, minée de crevasses, parsemée de glissements de terrain et traversée par une multitude de ruisseaux formés par la saison des pluies, l’autostop est perçu par les locaux comme impossible. C’était sans compter que “impossible” n’est pas français. Armé de courage et mettant en pratique toutes les techniques que l’autostop m’a enseignées en 7 mois d’aventure, je réussis cette traversée en une seule journée. Avançant de village en village, de vallée en vallée, cramponné à des deux-roues ne dépassant que rarement les 30 kilomètres par heure, je suis émerveillé à chaque tournant dévoilant un nouveau panorama que dame Nature m’offre. Ce décor superbe, entre jungle et montagne, transforme les temps d’attente en moments de contemplation de cette flore exceptionnelle.

Pokhara, quant à elle, se révèle être intrigante, si ce n’est déconcertante. La rue principale est jalonnée d’une centaine de restaurants, du même nombre d’hôtels, d’une quarantaine de bureaux de change, d’une vingtaine de salons de massage, et d’autant de centres d’excursion. Rien ne semble authentique ni traditionnel. Quelques voyageurs à l’allure hippie déambulent d’un café à l’autre, savourant des plats que l’on pourrait trouver partout dans le monde : pizzas, bières, frites, burgers et pancakes.

Comment se sentir immergé dans la culture lorsque rien ne fait allusion au pays dans lequel on se trouve ? Rien n’est écrit en népalais, tandis que tout le monde est bilingue. Ces petits tracas linguistiques aident l’esprit du voyageur à se sentir à l’écart et dépaysé. Mais comment peut-on se sentir étranger dans un tel contexte ? Comment ressentir l’âme du Népal lorsque rien ne rappelle ce pays dans les rues ? Une fois au bord du lac, désireux de me ressourcer, je suis sans cesse harcelé par les rabatteurs de barques proposant d’aller faire un tour sur l’eau. Mais ils sont une cinquantaine, parsemés tous les 10 mètres, à proposer le même service… Pokhara me donne l’impression d’être Truman, bloqué dans une ville imaginaire, artificielle et conçue spécialement pour le touriste que l’on voudrait que je sois.

Tous les stéréotypes que l’on m’a rabâchés sur le Népal s’effondrent les uns après les autres. Il semble que la ville ait été conçue principalement pour accueillir un tourisme de masse, ce qui rend mal à l’aise un jeune aventurier se déplaçant gratuitement et optant pour l’hospitalité des habitants. Comparés aux Indiens, les Népalais donnent l’impression d’être plus réservés, n’engageant la conversation avec moi que dans le but de conclure une transaction financière. Certes, le personnel des chambres d’hôte arbore un grand sourire, tout comme les chauffeurs de tuk-tuk qui sillonnent la ville. Mais ceux que je croise par hasard en dehors de ces zones ne semblent pas partager la même chaleur que leurs voisins indiens.

Cette impression vient confirmer ce que j’ai ressenti lors de ma traversée des petits villages, où je suis moqué par les enfants qui me voient candidement comme un pauvre vagabond incapable de payer un ticket de bus. C’est la première fois que ça m’arrive, d’être méchamment taquiné par des enfants. D’habitude si curieux, si amusants, joviaux et bienveillants à mon égard, ici c’est l’inverse. Quant aux restaurateurs, ils prétendent qu’ils n’ont plus rien à manger : “Eh, avec les œufs là, tu ne peux pas me faire une omelette s’il te plaît ?” “Non, ce n’est pas pour toi, il n’y a rien pour toi ici”, me répond sèchement un cuisinier une fois. En ce qui concerne l’hébergement, il semble inconcevable de dormir dans un temple, une école ou même d’étendre son matelas dans une petite maison. Bref, les étrangers sont perçus comme des portefeuilles sur pattes au Népal.

La pauvreté brutale et soudaine qui frappe le Népal pourrait expliquer ces mentalités et ces attitudes. Les prix y sont deux à trois fois plus élevés qu’en Inde voisine, alors que le PIB par habitant n’est que de moitié. J’ai eu l’occasion d’échanger avec de nombreux habitants pour tenter de comprendre cette énigme, et la réponse était toujours la même : le gouvernement se repose principalement sur les droits de douane prélevés sur les produits importés. Ils ont le mérite de remplir les poches des amis du président, mais vident les économies de tous les habitants du pays. C’est pourquoi tous les Népalais qui m’ont pris en auto-stop ont un membre de leur famille qui travaille à l’étranger, surtout en Europe. La situation actuelle semble insoutenable pour eux, que ce soit pour les chauffeurs de camions, les pêcheurs, les enseignants, les gardes forestiers ou les policiers. Tous expriment leur désapprobation envers le gouvernement, certains n’hésitant pas à critiquer ouvertement le régime dès les premières phrases de la conversation.

Le pays semble avoir misé “tous ses jetons” sur le tourisme de masse, ce qui a d’abord rapporté, mais qui l’a ensuite plongé dans l’insuffisance et la misère à la suite du COVID. Les touristes sont devenus trop timides pour revenir comme avant. C’est à ce titre que Pokhara est dystopique : tout y est prévu pour accueillir dix ou cent fois plus de touristes, et la cité dégage un amer goût de ville fantôme. Le lac en est le symbole même : près de deux cents barques sont amarrées, mais seules deux voguent innocemment sur l’eau.

Le Népal est sans doute un pays pour les grands amateurs de la nature et des joyaux des sommets. Pour l’autostoppeur que je suis, plus sensible aux rencontres humaines et à la chaleur dégagée par une rencontre, ce pays m’a moins enchanté. Comme si les Népalais étaient en majorité introvertis face à des Indiens qui sont aux antipodes de cela. Retour à une culture plus calme provoquant un décalage trop grand avec « l’Incredible India » ? Je repars aujourd’hui pour quelques semaines en Inde, cette fois-ci à la conquête du Gange !

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Bonicho

Bravo pour ton texte je suis déçu pour toi de pas avoir trouvé le Népal que tu espèrerai
Mais allez c était juste un parmi tout ce que tu as vu retiens le meilleur et continue ton chemin bisous

Jean-Pierre

On a lu beaucoup de choses sur les travailleurs népalais partis au Qatar. As-tu pu échanger avec certains d’entre eux rentrés au pays ?

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