Un PVT à Sydney – Poucepour1

Un PVT à Sydney

Après un séjour enchanteur sur le bateau de Bronte, je me remets en route avec un nouvel objectif : Sydney, à 1200 km d’ici. Si la distance n’est pas insurmontable, contrairement aux grandes étendues du bush, le réseau urbain rend l’autostop plus compliqué. Le temps où les conducteurs se dirigeaient spontanément vers des villages distants de 1000 km est révolus, sur les routes du Riverland l’autostop semble inconcevable pour les habitants. Aucun australien ne daigne s’arrêter et je dois mon salut à quelques immigrés asiatiques qui passent de temps à autre. Je crois qu’en deux jours, j’ai accumulé plus d’heures d’attente qu’en quatre mois passés au pays de Gandhi.

Il me faut cinq jours pour atteindre le célèbre opéra. Cinq jours de camping en plein air, de repas composés de hot dogs achetés dans les stations-service ou de conserves provenant du supermarché, de recharges de téléphone dans les toilettes publiques et de réchauffement au coin du feu. Cinq jours de retour à la nature qui me font d’autant plus apprécier chaque véhicule qui s’arrête. J’engage alors des conversations passionnantes avec mes conducteurs et je ne manque pas d’exploser de joie lorsque Karl, un charpentier suisse, me dépose au pied du mythique Opéra. À Sydney, je prends rapidement mes quartiers dans une auberge de jeunesse où je sympathiser avec de nombreux Européens.

Le permis vacances-travail, alias PVT, offre une opportunité alléchante aux jeunes du monde entier : travailler en Australie pendant un an tout en explorant le pays. Cette perspective attire chaque année des dizaines de milliers de Français vers l’Australie, qualifiée de nouvel Eldorado du XXIe siècle. Ces jeunes partent emplis d’espoir, nourrissant le rêve de salaires deux à trois fois plus élevés qu’en métropole, associés à un coût de la vie plus abordable. Mais la réalité est-elle à la hauteur de leurs attentes ? Qu’en est-il dans les faits ?

Les auberges de jeunesse de Sydney regorgent d’Européens ayant tous le même objectif : amasser autant d’argent que possible pour financer des road trips, des voyages autour du monde, ou simplement rentrer chez eux avec un pécule conséquent. Une fois sur place, beaucoup se heurtent à la dure réalité : difficultés à trouver un emploi, salaires peu attractifs et tâches peu gratifiantes. Si quelques chanceux parviennent à décrocher le jackpot, la plupart se retrouvent à faire des livraisons Uber Eats faute de mieux. Une situation enviable ?

Pour la majorité des européens que je rencontre à Sydney, obtenir le salaire minimum australien s’avère mission impossible. Pédaler des heures sous la pluie ou le vent pour une paye à peine supérieur au SMIC français constitue alors le triste quotidien pour beaucoup. Les emplois dans les fermes, cafés et usines ne sont guère plus attrayants. L’employeur peut décider le matin même de ne pas faire travailler ses salariés et ainsi de ne pas les rémunérer : la flexibilité totale du marché du travail ne garantit aucun droit aux travailleurs. Il est à noter que les patrons ne sont aucunement responsables en cas d’accident du travail, laissant les employés seuls pour se procurer une assurance. De plus, les contrats peuvent être rompus du jour au lendemain et beaucoup de jobs ne sont pas payés à l’heure mais à la tâche, notamment ceux qui travaillent dans les fermes et qui sont payés au kilo de fruits récoltés. Les fermiers préfèrent souvent embaucher des Chinois ou des Indiens, perçus comme plus dociles et moins exigeants en termes de salaire et de conditions de travail. Cette réalité laisse de nombreux Espagnols, Italiens, Français et Allemands sur le carreaux, ironique version de l’économie mondiale de 2024.

En changeant d’auberge et par le fruit du hasard, je réussis néanmoins à trouver des personnes plus « chanceuses ». Plus enclines à adopter la mentalité anglo-saxonne et à apprécier la flexibilité imbattable du marché du travail, ils parviennent un dégager un revenu plus qu’intéressant. François par exemple travaille 50 heures par semaine et arrive à économiser 4000€ par mois. « Je reste ici 1 an et après je pars faire le tour du monde. Avec 50 000€ je vais pouvoir voyager des années et des années ! ». Se conformer à ces exigences requiert une grande capacité d’adaptation, ce qui n’est pas toujours le cas de bon nombres de français qui débarquent ici après avoir terminé leur études et n’ayant jamais éprouvé les difficultés de l’emploi.

En voyageant, je réalise la chance que nous avons chez nous. Bien que les salaires puissent être plus attrayants en Australie en raison de charges et d’impôts moindres, le système, calqué sur celui des États-Unis, laisse de nombreux citoyens en difficulté, faute de solidarité nationale : frais universitaires exorbitants, absence de soins de santé gratuits, protection du travailleur limitée, retraite à 68 ans et absence d’assurance chômage. Sur les sièges passagers, j’ai enchaîné les conversations à propos de la vie en Australie, mettant en lumières les similitudes mais aussi les différences avec la vie en France. Le système social français, généreux et bienveillant, impressionne les Australiens qui, pour certains, seraient prêts à avoir un salaire deux fois inférieur en échange de toutes les prestations incluses lorsqu’on réside en France.

« Je suis maçon, travailler dehors par 40°C ou sous la pluie jusqu’à 68 ans, c’est de la folie. Si je m’arrête avant, le gouvernement ne me donnera rien, je ne sais pas trop quoi faire », me confie Ben, pourtant au volant d’une superbe Mercedes. « J’ai perdu un doigt dans une machine agricole lors de mon travail à la ferme. Non seulement je n’ai pas été indemnisé, mais en plus ce fut à moi d’avancer les frais de santé. Mon patron a fait comme s’il ne me connaissait pas », m’explique Romain, jeune baroudeur français en permis vacances travail, me montrant sa main. « Je dois cumuler plusieurs travaux pour payer mon loyer de 400€ par semaine. Il n’est pas rare que je fasse 60 ou 70 heures mais je suis exténué, j’ai hâte de rentrer en Chine », me dit Hu. « Mes filles veulent étudier à l’université, c’est 30 000€ l’année, 2500€ par mois ! Même avec de bons salaires ce n’est pas possible… », me souffle John…

Ces témoignages, j’en ai reçu des dizaines. Il est vrai que les salaires peuvent être attrayants, mais dès que des problèmes surviennent, tout devient compliqué. Les services de santé exorbitants en sont un exemple frappant. On réalise bien trop souvent ce qu’on a, une fois qu’on ne l’a plus. Les conditions de travail à la française sont vite oubliées par les jeunes qui s’envolent faire leur PVT en Australie et qui reviennent souvent plus tôt que prévu, incapable de trouver un emploi descend ou d’adhérer au mode de vie anglo-saxon.

En voyageant, je me rends compte une fois de plus de l’importance de la nuance. Il n’existe pas de système parfait, de lieu idéal ou de personnes meilleures. Il y a simplement des modèles, des lieux et des individus différents. En 2024, il est essentiel de se débarrasser de nos oeillères pour apprécier les nations et leurs habitants dans toute leur complexité. C’est ce qui rend le monde si fascinant. Rien n’est totalement blanc ou noir, et il serait imprudent de regarder notre planète avec une vision simpliste. Il est de notre devoir d’apprécier toutes les subtilités qui font la richesse de notre monde.

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Jean-Pierre

J’espère que tes contacts avec les medias te permettront d’éclairer un peu nos jeunes…

Bonicho

Merci de préciser qu en France on est bien ç est sur qu il y a des choses moins top mais franchement on est pas mal

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