Les routes indiennes – Poucepour1

Les routes indiennes

L’autostop en Inde est fantastique : l’attente se réduit à une poignée de minutes et la communication s’établit aisément, transcendant ainsi les barrières linguistiques. Mais c’est bien au-delà du simple partage de trajet que s’élève cette expérience. Les conducteurs deviennent des compagnons de route, des amis d’un jour qui ne manquent pas de m’inviter aux fêtes, aux cérémonies, à séjourner chez eux, au restaurant ou même à m’offrir des cadeaux ou des offrandes…

L’autostop en Inde, c’est également une immersion complète sur les routes. Plus que dans aucun autre pays que j’ai traversé, ces axes de communication dépassent leur simple fonction, c’est un lieu de vie à part entière. La diversité des moyens de transport reflète assez fidèlement la disparité des individus ; petites citadines, tuk-tuks, mobylettes, scooters, motos, SUV, bus, camions, poids lourds, engins de chantier, vélos, piétons, commerces ambulants… La route est un miroir de la civilisation indienne, quelle que soit sa caste, sa religion ou sa richesse, on se retrouve là, sur la route. Imaginez alors ma chance de pouvoir côtoyer, discuter et partager un bout de chemin avec toutes ces personnes.

De plus, on trouve de tout sur les routes qui sont ponctuées de stations-service, de restaurants, de stands de street food, de petites boutiques, de temples, de vaches sacrées, de vendeurs ambulants… Les gens s’y arrêtent pour tout et n’importe quoi, et c’est à ce titre que les bandes d’arrêt d’urgence se transforment en une rue à part entière où la vie jaillit. Je vous présente alors quelques histoires sur près de 1200 km effectués à la force du pouce sur les routes indiennes.

De Dharamshala à Delhi, je rencontre deux étudiants de mon âge. Le courant passe bien et ils veulent me ramener chez eux pour que je puisse rencontrer leur famille. Quelle bonne décision d’accepter ! Je suis alors accueilli comme un roi par des gens qui n’ont jamais vu un étranger en chair et en os de toute leur vie. Tarun se propose alors de m’inviter à passer la nuit, car le lendemain se déroule la fête du village, où sa famille prépare à manger pour près de 300 personnes. C’est pour eux un immense honneur de ramener un “blanc”. Je suis aux anges à l’idée de participer à une telle cérémonie, et je crois qu’eux aussi.

Le lendemain, dès 6 heures du matin, toutes les femmes de la maison s’attellent à la tâche de préparer à manger. Les hommes, peu investis dans la cuisine, s’occupent principalement à préparer les offrandes pour les dieux ou à cuire le pain. Tarun et son ami, bien qu’ils se soient réveillés depuis l’aube, s’occupent en allant faire trempette dans l’abreuvoir à vache et en discutant avec leurs nombreux cousins qui reviennent au village pour ce jour.

Vers midi, les convives commencent à arriver les uns après les autres. C’est alors que l’homme le plus âgé de la famille effectue les offrandes et incite les invités à remercier les dieux. Un rituel où il faut tour à tour jeter des grains de riz sur une noix de coco qui brûle de mille flammes entourée de couronnes de fleurs qui se consument bien. Après quoi, les enfants de la famille se mettent à faire le service du repas. Les femmes ont préparé différents thalis – plat en sauce indien – qui se mangent avec des galettes de pain. Je précise qu’il n’y a pas de couverts, on mange avec les mains.

Je ne rate pas l’occasion de relayer les jeunes, à la surprise générale. Voir un invité, qui plus est blanc, faire le service les surprend beaucoup, et ils se sentent tous très honorés d’être servis par moi. L’après-midi se termine par une balade près de la rivière avec les autres grands ados de la fête, et heureusement l’oncle de Tarun, partant dans ma direction, me fait avancer de 100 km. Le lendemain, ce sont 17 véhicules qui me sont nécessaires pour relier la capitale indienne. Journée exténuante, sans cesse à la recherche de véhicules, à marcher, à agiter le pouce, à refaire les présentations, etc.

Delhi est loin d’être un coup de cœur. Visiter une ville de 40 millions d’habitants par 40 degrés n’est sans doute pas la meilleure des choses. Outre quelques beaux monuments, la chaleur, la poussière et la saleté décuplées par rapport au reste de l’Inde rendent l’atmosphère fort peu réjouissante. Heureusement, j’arrive à retrouver le couple de chirurgiens londoniens qui s’apprêtent à repartir chez eux. Ainsi, je peux profiter d’un délicieux repas dans l’un des plus beaux hôtels 5 étoiles de la ville. Hauts plafonds, mobilier décoré, statues en marbre et couloirs ornés de mille et un tableaux, j’ai du mal à concevoir une telle opulence de luxe devant la misère qui m’accompagne à Delhi depuis 48 heures. Heureusement, Bill et Lindsey ne correspondent en rien à cela, ce sont des gens simples, honnêtes et très ouverts d’esprit. Nous passons une soirée mémorable, et ces Londoniens ne manquent pas de me rappeler mon excellente année d’échange que j’ai passée outre-Manche.

Je reprends ensuite l’autostop, sur les bords d’une autoroute à 4 voies allant vers Mathura. Le trafic dépasse les lois de l’absurdité. En plus de la pluralité des véhicules, certains se déplacent à contresens ! Je rencontre alors pour la première fois de mon voyage un autre autostoppeur, indien cette fois-ci. Il attend depuis 1 heure là et aucune voiture ne semble s’arrêter pour lui. En revanche, à mes premiers coups de pouce, un splendide Range Rover pile et me fait signe de monter. Il m’explique bien que je suis le seul qu’il accepte, l’Indien devra attendre encore…

L’homme est plus que dévoué, il fait un détour pour m’avancer, répond avec joie à toutes mes questions et me propose même à manger. Quel contraste avec l’homme froid qui avait refusé de faire monter l’autre autostoppeur. Vivaan m’explique alors le rapport des Indiens vis-à-vis des étrangers : “vous êtes des dieux pour nous”. Je lui demande plusieurs fois de répéter car je n’en crois pas mes oreilles, mais apparemment cela est bien vrai et expliquerait beaucoup de choses quant aux traitements de faveur que j’ai reçus.

Au moment de nous séparer, Vivaan glisse plusieurs billets dans ma poche. Refusant naturellement, il insiste, deux fois, trois fois, et je ne manque pas de céder après, me disant que c’est la culture et que ça lui fait très plaisir. Mais je suis terriblement gêné. Il doit être persuadé d’avoir fait une offrande à un Dieu, mais moi je suis juste Lucas, l’autostoppeur ! Ce don d’argent – près de la moitié du SMIC local tout de même – m’a bouleversé toute la journée. Je suis certes étudiant, mais je reste avant tout français, et je ne compte pas le nombre de personnes plus nécessiteuses que moi et à qui ce don aurait été plus bénéfique.

Toujours avide de comprendre sans juger, il serait intéressant de savoir ce qui a poussé cet homme à me donner à moi plutôt qu’aux mendiants qui luttent chaque jour pour leur survie ? Surtout que pour rappel il n’a même pas voulu prendre l’autostoppeur indien… Outre l’aspect religieux qui a dû agir en ma faveur à l’encontre de celui de l’indien, se dissimule peut-être une certaine forme de grande générosité ciblée ? Tous les Indiens ne m’offrent pas de l’argent, je vous rassure. Mais cela met en revanche la lumière sur les relations indo-indiennes qui semblent très très complexes ; caste, statut et faciès comptent immensément et font que Vivaan a préféré donner de l’argent à un inconnu plutôt que rendre service à un compatriote.

J’ai remarqué un point commun entre toutes les personnes qui m’ont donné de grosses sommes d’argent : j’avais exactement le même âge que leur fils ou leur fille. Mon histoire fait donc écho aux parents, qui projettent sur moi leurs enfants – et les laissent imaginer faire un tel voyage. Leur don est donc tout aussi bien pour moi que pour le reflet que je suis de leurs progénitures, je pense. Car s’il y a bien des choses qui changent – cultures, paysages, langues, traditions, religions… –, il y a bien quelque chose qui ne change pas, c’est l’amour des parents pour leurs enfants et le désir profond que leur enfant commence dans la vie, un peu plus haut qu’eux n’ont commencé.

Je voudrais également attirer votre attention sur le rapport de certains Indiens envers les étrangers ; « vous êtes des dieux ». L’Islam préconisait que « l’hôte est un envoyé de Dieu », mais l’hindouisme va plus loin, l’étranger est un dieu, et pas un simple messager ou envoyé. L’accueil, la ferveur et mes relations avec les Indiens n’en sortent que plus exceptionnelles.

142ème jour de mon voyage. Après une dernière visite d’Agra, je commence à marcher vers la sortie de la ville pour trouver une voiture. Quelques scooters me permettent de sortir plus rapidement, il faut dire qu’à la différence des autres pays le stop en agglomération est possible ici, je trouve toujours des scooters m’avançant de 1 ou 2 kilomètres en l’espace de 3 minutes. Pourtant, aujourd’hui, bien que parfaitement positionné, aucune voiture ne semble passer sur ce grand axe, ce n’est pas normal. Après observation, les policiers et militaires bloquent la route comme si le Tour de France s’apprêtait à passer par là. Je comprends rapidement en échangeant avec eux que le ministre de l’Intérieur va passer sur cette route. Le dispositif est impressionnant et 10 minutes plus tard, un cortège d’une vingtaine de pick-up Toyota passe, à vive allure bien entendu.

Quelques voitures et motos plus loin, je tombe cette fois sur deux jeunes qui ont la vingtaine et me proposent rapidement de les rejoindre pour aller à la piscine. J’accepte naturellement et quelques kilomètres plus loin, j’arrive à ce qui ressemble plus à un petit aquapark qu’à une quelconque piscine. Il y a des centaines et des centaines d’Indiens dans l’eau. Une fois dans l’eau, ils essayent tous de m’approcher, de me toucher ou encore et toujours de prendre des photos avec moi. Aussi anxiogène que cela soit, je commence à être habitué et je joue le jeu des photos.

Alors que nous remontons au bord de la piscine, une petite “bataille” éclate soudainement, chacun essayant de se pousser à l’eau. Les Indiens volent, se renversent et plongent dans l’eau, tandis qu’un nain tente à son tour de me faire tomber. J’esquive ses attaques et le pousse sèchement, le projetant dans le bain. C’est alors que le nain coule et il n’a pas pied – malgré les 1m30 d’eau. Il est incapable de nager. Horreur ! Voyant qu’il est en difficulté, je plonge pour le sauver, le mettant à l’abri de la noyade.

Pensant avoir secouru un homme, la situation est interprétée différemment par les autres. Ils commencent à crier et un cercle d’une trentaine d’Indiens se forme autour de moi. Mon Dieu, qu’ai-je fait ! Ils pensent tous que j’ai essayé de noyer le nain. Quel malentendu ! Malgré mes tentatives pour expliquer ce que j’ai perçu, ils ne parlent pas anglais et ils pensent qu’en parlant hindi plus fort, je vais comprendre… En face de moi, le prétendu noyé me lance un regard vil, défieur et prêt à obtenir des réparations pour le préjudice causé involontairement par ma personne. Heureusement, mon compagnon de scooter mesure 1,90 m, il est aussi large que haut, et il parvient rapidement à disperser la foule en exposant la perfidie du nain. J’ai échappé belle !

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Christophe

J’adore… bel article. Et quelles histoires! J’adore l’Inde et j’ai qu’une hâte c’est d’y retourner! Nous avions visiter la région du Kerala… le souvenir qui m’a le plus marqué c’est celui de leurs sourires! 😁 bonne continuation! Take care.

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