« Dans un voyage en Absurdie, que je fais lorsque je m’ennuie »
– Michel Sardou
Après un périple de 15 000 km d’autostop à travers les terres et les mers, me voici enfin en Inde ! L’excitation d’être dans un nouveau pays fut rapidement engloutie par l’implacable réalité qui s’offrait à moi. Mes premières heures dans cette nation ressemblaient à un véritable cauchemar, une odyssée monstrueuse, un voyage en absurdie… “Pourquoi diable m’étais-je embarqué dans cette galère ?”, me répétais-je, impuissant face à l’incompréhension totale de ma présence ici. Les odeurs, la poussière, les fumées suffocantes, la foule oppressante, la chaleur écrasante, l’indigence absolue… Tout me répugnait. Je cherchais désespérément une bouée de sauvetage au milieu de cet océan d’inconnu indien, et les quelques panneaux dans la langue de Shakespeare étaient mes seules balises. J’avais l’impression d’avoir été arraché au paradis de l’Asie centrale pour être jeté en enfer. Je me persuadais même que j’avais ruiné mon voyage en prenant cette décision impulsive de venir en Inde. Rien ne me plaisait, l’atmosphère était insaisissable, et les gens qui me stoppaient tous les dix mètres pour prendre des photos avec moi ou me demander des dollars ne faisaient qu’empirer mon mal-être. Il m’a fallu une journée entière pour trouver un semblant de repères dans cet univers hostile et commencer à ressentir un soupçon de plaisir.
Amritsar est la première ville indienne qui se dévoile devant mes yeux de voyageur ébahi. Quelle cité extraordinaire ! En tant que ville sainte des Sikhs, le temple d’or abrite les écrits originaux de cette religion, vieux de 500 ans. C’est un lieu de pèlerinage incontournable pour les 25 millions de Sikhs, et se tenir près de la piscine sacrée vous transporte au plus profond de votre être. Tout brille de mille feux, la foi de ce peuple vous pénètre jusqu’au plus profond de votre être, et les merveilles s’enchaînent avec une splendeur inégalée. Je ne regrette pas un seul instant d’avoir commencé mon séjour en Inde ici ; tout rutile.
Après deux heures d’attente, je me retrouve enfin devant le livre sacré. L’atmosphère est transcendante. Il est presque impossible de décrire l’ambiance qui règne ici. Tout le monde semble être en état d’extase et d’émotion face à ce lieu d’une importance capitale pour les Sikhs. En visitant les différents étages, j’arrive dans une petite pièce paisible où seuls un vieil et un jeune homme lisent un autre ouvrage. Dès qu’il me voit, le plus jeune se lève et me fait signe d’approcher. Nous discutons pendant un moment, puis il m’invite à prendre le thé. Je suis stupéfait. Il interrompt la lecture du parchemin pour venir échanger avec moi ?
Il m’emmène dans une petite salle où tous les gardiens se réunissent pour se reposer. Ils parlent tous un anglais courant, et je ne manque pas de les bombarder de questions. La conversation est fascinante ; tout ici m’émerveille ! Après un échange enrichissant, ils me guident vers la cantine, un lieu gigantesque où des repas sont servis gratuitement. Mais qu’est-ce donc ?
Des milliers de personnes se massent devant une porte qui s’ouvre bientôt. Avec une harmonie étonnante et une discipline exemplaire, chacun se saisit d’un plateau, d’un verre et d’une cuillère avant de chercher une place dans l’enceinte. Une fois que tout le monde est assis, rangé en files de cinquante sur trente rangées, des cantinières nous versent différentes sauces, de l’eau et quelques galettes dans nos écuelles. Mes deux voisins ne tardent pas à engager la conversation avec moi, et ils sont surpris qu’un Européen ne préfère pas se rendre dans un restaurant. Le repas est copieux mais rapide, car la foule se masse déjà pour le prochain service.
17 heures en banlieue d’Amritsar ; je commence à agiter mon pouce à l’entrée de l’autoroute en direction de l’Himalaya. L’appréhension atteint son paroxysme car tout le monde m’a fortement déconseillé de faire du stop en Inde. Nombreux sont ceux qui m’ont catégoriquement affirmé que c’était impossible. “Ça ne marchera pas, ce n’est pas dans leur culture”, “Tu vas être perçu comme quelqu’un qui vole le travail des chauffeurs de bus et de taxi”, “Ce n’est pas intéressant financièrement, pourquoi tu t’embêtes ?”, “Vous, les Européens, vous pensez pouvoir tout faire comme chez vous, mais ici, c’est l’Inde”… Après cette avalanche de préjugés, il est temps de tenter ma chance.
Une, deux, trois voitures… Les feux rouges de la voiture ! La voiture ralentit, je saisis mon sac et me précipite pour ouvrir la portière et entamer une conversation avec le conducteur. Son anglais est parfait, il est ravi de me prendre et en moins de deux minutes nous voilà en route vers ma destination ! Je suis rempli d’excitation, je n’arrive pas à y croire, c’est possible ! Je bouillonne intérieurement et j’ai rarement éprouvé une telle joie lors de ce voyage. Les voitures se succèdent, et je suis de plus en plus impressionné. Tous les Indiens qui me prennent parlent anglais couramment, c’est un énorme changement par rapport à avant. Quel bonheur de pouvoir converser comme au début de mon aventure, lorsque j’étais encore en Europe, et que la barrière de la langue n’était pas un problème.
À l’entrée de Pathankot – mon chauffeur ne se rendant pas en centre-ville – il s’arrête à un café pour essayer de me trouver un autre véhicule. Un homme qui rentrait chez lui se propose de m’emmener sur son scooter. Au feu rouge, un homme sur une mobylette à côté de nous entame une conversation avec moi. Le feu passe au vert et nous continuons à échanger à 30 km/h. Il me propose alors de me faire visiter la ville, et au feu suivant, je change de moto et me retrouve avec lui. Mais qu’est-ce qui se passe ici ? C’est tout simplement incroyable de faire du stop ici !
Nous visitons le temple et en sortant, il me fait signe d’aller saluer son ami qui a une échoppe juste à côté. Au départ un peu froid, l’ami change complètement d’attitude en apprenant que j’ai la même année de naissance que son fils. Nous sommes tous deux de juin 2000. Il l’appelle alors et me noie de questions. Afin d’en apprendre plus sur mon voyage il m’invite chez lui, le graal ! Quelques instants plus tard, j’arrive dans une propriété de trois étages, avec une terrasse sur le toit s’il vous plaît. On dirait que je ne suis pas tombé chez n’importe qui ! Je pense être ce soir le plus heureux des autostoppeurs.
Le père de cette famille est déconcertant. Je peine à trouver les mots pour le décrire. Son charisme est saisissant. Ses yeux pénétrants, presque intimidants, captivent mon attention. Sa voix résonne avec autorité, suscitant le respect à plusieurs mètres à la ronde. Parfois, il peut me faire peur avec ses affirmations, mais il demeure incroyablement attachant. Est-ce ainsi que sont les familles brahmanes ? Un mélange de respect, d’amour et de valeurs profondément ancrées, avec un chef imposant à la tête de chaque foyer ? Il est indéniable que la religion domine tout ici. Le père a fait construire un petit temple à l’étage, et en arrivant dans la maison, j’ai surpris sa femme en train d’écrire les noms des différents dieux sur un immense cahier, m’expliquant : “J’écris deux pages chaque jour, c’est d’une importance capitale pour moi.”
La différence culturelle se fait rapidement sentir lorsque je porte le verre à mes lèvres. “Mais que fais-tu ?!” s’exclame le père. “On boit après avoir mangé tous les aliments, c’est ainsi que ça se passe ici.” Heureusement, sa femme a préparé un délicieux plat en sauce, et le fait de ne pas boire immédiatement n’est en aucun cas dérangeant. Les deux fils ne manquent pas de me poser des questions, et je suis profondément étonné de découvrir qu’ils projettent tous les deux d’aller étudier au Canada.
Leur accueil exceptionnel m’a profondément ému, au-delà de toutes mes attentes. En l’espace de trois heures, tous les préjugés que j’avais pu nourrir se sont effondrés, révélant la sincère gentillesse et la bonté d’âme du peuple indien. Mais ce sont les dernières paroles du père qui ont été la cerise sur le gâteaux de ces débuts de l’autostop, laissant une empreinte indélébile dans mon cÅ“ur : « À partir d’aujourd’hui, j’ai trois fils ».
Les gens que vous rencontrez sont tous extraordinaires. Mais ne le seriez-vous pas un peu aussi? 😉
Merci beaucoup ça me touche énormément !
Quel plaisir de vous lire et de suivre votre périple !… On récolte ce que l’on sème, donc rien n’arrive par hasard , je suis convaincue que vous donnez autant que vous recevez.
Cette aventure est incroyable, j’aurais aimé avoir le cran de faire ça a votre âge, et merci infiniment de nous la faire partager!!! Bonne route, hâte de vous lire a nouveau !
Merci beaucoup pour votre très gentil messages ! En effet avoir une telle opportunité à mon âge est juste exceptionnel
Tu as déjà “fait” des coups identiques en Écosse ou dans les Carpates ! Tout ça est le résultat d’une consommation régulière de madeleines de Liverdun…
La différence me semble surtout ici être liée au temps : tu as le temps et même beaucoup de temps. Et tu voyages de plus en plus léger alors qu’il suffit de regarder un peu autour de nous pour voir que les gens ont des valises de plus en plus grosses.Profites-en bien et bonne route.
Tout à fait en ayant le plus le temps je peux toujours accepter ces invitations et je ne suis plus pressé comme je pouvais l’être en écosse ! Ahah tu dis vrai de tout les voyageurs que j’ai rencontré je suis celui avec le moins d’affaire alors que je voyage le plus longtemps !
Quelle belle plume ! Merci pour ces récits et images qui nous font voyager un peu plus chaque jour vers le bout du monde. Bravo pour ton chemin parcouru, on a hâte d’en découvrir d’avantage !
Merci beaucoup pour votre message c’est très gentil !