Au tableau – Poucepour1

Au tableau

“Je veux que mes enfants s’instruisent à mon écoleS’ils ressemblent à quelqu’un, autant que ce soit moi.”

– Michel Sardou

Du petit prince, de Candide ou d’Otis, je comprends encore plus aujourd’hui l’importance des rencontres pour forger une destinée.

 

Et si j’allais me présenter au lycée de la ville ? Le stop a très bien fonctionné, je suis arrivé plus tôt que prévu et je n’ai pas encore rencontré d’élèves en Turquie, c’est le moment ou jamais !

 

En arrivant devant les grandes portes j’ai un peu le trac, je ne suis qu’un simple voyageur et je ne parle pas trois mots de turc. Mais bon, je n’ai rien à perdre. En arrivant par inadvertance dans la salle des profs, j’ai le plaisir de tomber nez à nez avec le professeur d’anglais. Je peux lui expliquer ma situation et il est rapidement emballé. Il en parle à son directeur qui m’accueille trois minutes plus tard en grandes pompes dans son bureau.

 

Imaginez vous l’ascenseur émotionnel, me voilà maintenant assis en face du directeur du plus prestigieux lycée de la ville, avec un professeur comme interprète. Ville plus grande que Nancy, je précise.

 

Notre bon prof d’anglais m’accueille alors dans sa classe mais prétextant de se faire un café, il fille à l’anglaise et je me retrouve seul devant 30 enfants de 15 ans, tous en uniforme s’il vous plaît. Je tape bien fort dans les mains à la manière de Frank Abagnale dans le célèbre film « Arrête -moi si tu peux » où il s’improvise prof de français, un silence de plomb résonne alors, c’est bon je peux m’élancer. Après 10 minutes de présentation, s’en suivront pour tout le reste de l’heure de cours, des questions des plus intéressantes et des plus incongrues.

 

“Pourquoi tu voyages seul ?”

“Galatasaray ou Fenerbahçe ?”

“Que penses tu de l’hospitalité turc ?”

“Pourquoi les petites filles françaises ne peuvent pas porter le voile à l’école ?”

“Messi ou Ronaldo ?”

“Tu préférerais de vivre à Istanbul ou Paris ?”

“Que pense ta maman de ton voyage ? “

“Quelle est la principale différence entre notre classe et une classe française ?”,

“Les filles turques sont elles aussi jolies que les françaises ?”

 

Autant de réflexions qui me permettent de transmettre les valeurs qui me sont chères -bienveillance, patience, soif de d’apprendre… – aux enfants, de les encourager à découvrir le monde, d’apprendre l’anglais mais également qui résonne en mon for intérieur. Elles me permettent de philosopher à mon tour sur mon aventure, sur les raisons me poussant à parcourir le monde et sur ce qui me donne la force d’avancer en me levant tout les matins.

 

Le lendemain je suis invité dans un autre lycée de la ville, il faut dire que ma bonne prestation a rapidement fait parler. Je déjeune avec le directeur, qui me regarde avec les yeux d’un grand enfant, posant mille et une questions sur mon voyage. Je perçois dans son regard de la curiosité, de l’admiration mais surtout de l’envie de réaliser un tel projet. Il faut dire que ce cinquantenaire n’a eu que très rarement l’occasion de voyager.

 

Je passe l’après midi avec Nur, 25 ans, jeune professeure d’anglais qui est seulement dans sa deuxième année d’enseignement. La classe, bien que plus âgée, est plus timide et l’échange se fait plus difficile. Cela n’entrave en rien le moment, car c’est maintenant moi qui pose les questions, je retourne la situation à mon avantage : Que voulez-vous faire plus tard ? Que pensez vous du réchauffement climatique ? Quelles sont vos passions ? Encore un florilège de réponses me permettant d’abreuver ma réflexion et ma philosophie sur les individus et leurs caractères.

 

Mais c’est alors que la sonnerie retentit dans ce temple du savoir. Mehdi et Osan m’attrapent par le bras, ils veulent me présenter à leur amis. Mais tous les lycéens se rassemblent. Ils forment un grand cercle autour de moi et tout le monde souhaite à absolument me toucher. En effet pour beaucoup je suis le premier étranger qu’ils rencontrent de route leur vie. Je suis attrapé de toutes parts. Je ne contrôle plus rien. Ils parlent tous en turc et la situation devient assez oppressante. Ils sont 50 tout autour de ma personne. 15 à me toucher en même temps, à prendre photo, vidéos ou simplement à me tirer les cheveux. Il faut dire qu’ils n’en n’ont jamais vu de cette couleur. Ersen me glisse une cigarette dans la bouche, c’en est trop, Nur arrive finalement pour me délivre de cette folle tourmente lycéenne.

 

Une fois extirpé elle me ramène en salle des profs, où les élèves les plus motivés feront la queue pour une photo. Essayant de comprendre ce qu’il vient de se passer avec Semra, la jeune fille m’ayant posé le plus de questions tout en me regardant passionnément pendant une heure, j’intègre mieux les évènements de la récréation : “tu es le premier blond aux yeux bleus que je vois de toute ma vie”.

 

Une fois revenu dans la salle des profs, Nur me demande où vais je dormir ce soir. Lui répondant que je n’en sais rien, elle panique et téléphone aussitôt à sa supérieure pour voir s’il y aurait moyen de me trouver une place dans le dortoir de l’école. Seule le directeur pouvant prendre une telle décision, me revoilà dans son bureau. Toujours aussi chaleureux il me fait assoir dans un magnifique fauteuil en cuir, en me pointant son gigantesque aquarium. Nur lui explique ma situation mais le dortoir de l’école est fermé du fait du tremblement de terre.

 

Pensant que les carottes sont cuites, je remets mon sac sur les épaules mais le bon directeur m’ordonne de m’asseoir de nouveau, il a plus d’une corde à son arc. Après 3 coups de fils il me trouve finalement une place dans un hôtel 4 étoiles, payé en exclusivité par le lycée pour mes bons et loyaux services. Je ne sais comment le remercier, notre poignée de main s’éternise et je vois au regard de Nur quelle est soulagée, tout est arrangé.

 

Le directeur me glisse ces paroles qui me font encore frissonner en écrivant ses lignes : “Merci pour tout Lucas. Beaucoup d’enfants ont perdu des membres de leur famille du fait du tremblement de terre. Je fais moi même une dépression à cause de la tragédie. Mais toi en seulement un après-midi, tu les as rendu heureux, tu as donné envie aux enfants de regarder vers l’avant, d’apprendre, de s’ouvrir au monde, bref, tu as remis des sourires sur les visages”

 

Toute réjouie, Nur se propose de me faire visiter les montagnes, de m’inviter à déguster les spécialités locales, le tout avec sa meilleure amie, également prof d’anglais. J’accepte bien volontiers et nous voilà à la montagne, en train de déguster un café turc au pied de pistes. Les skieurs profitent des dernières descentes, le soleil est resplendissant et je ne me lace pas d’admirer le paysage, que le montagne est belle !

 

J’en apprends alors plus sur la jeunesse du pays, victime d’une situation économique désastreuse – 30% de chômage des jeunes dans la région -, d’un COVID démoralisateur d’un tremblement de terre qui les achevé, seul Tiktok a d’importance a leur yeux à présents. Les réseaux sociaux apparaissent comme une bouée de sauvetage, une bouffée d’oxygène sur le monde, les aidant à fuir leur présent bien trop souvent tragique et misérables de ces derniers temps.

 

« Il y a 5 ans mes étudiants voulaient devenir médecin ou avocat, aujourd’hui c’est être le nouveau Ronaldo ou instagrameur du moment » m’explique l’ami de Nur, plus âgée. Mais réfléchissons-y, 5 ans avant l’économie turque fleurissait, il n’y avait pas de chômage chez les jeunes, le monde n’était pas encore virtuel et Tiktok n’existait pas… bref un autre monde.

 

Revenant en ville pour déguster une soupe de pied de veau, je réalise que j’ai pleinement vécu à la Turc aujourd’hui ! Nur fera encore des kilomètres pour me déposer devant l’hôtel, en poussant les portes de ma chambrée je suis ému du beau cadeau que vient de me faire l’éducation nationale turc.

 

Retourner sur les bancs de l’école pour transmettre de l’espoir et de la joie de vivre à ces enfants m’a profondément bouleversé. Ne serait ce pas un formidable moyen que de redonner un peu tout ce que le monde m’offre depuis déjà un mois ? Transmettre des valeurs ou donner l’envie d’avoir envie aux jeunes du monde, ne serait ce pas enivrant au point de devenir une nouvelle source de motivation et raison d’avancer ? Ces 24 dernières heures m’ont fait prendre conscience que si je reçois énormément lors de mon aventure, je peux également offrir beaucoup. Donnes et il te sera donné. Cette merveilleuse maxime s’applique une fois encore Quel merveilleux écho avec les rencontres de la semaine dernière.

 

De plus, ne serais-je pas ressorti encore plus riche que je ne suis rentré dans ce lycée, grâce à toutes ces rencontres ?

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Gaz-rare

Merci de ces belles réflexions, continue d’écrire et de partager ton expérience avec nous!

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