Réflexions sur Florès – Poucepour1

Réflexions sur Florès

À peine débarqué sur l’île de Florès, je suis pris en stop par une charmante famille. Le temps d’une journée, je visite en compagnie des parents et de leurs deux enfants les plages de sable fin, les collines verdoyantes aux allures de savanes ainsi que les nombreux panoramas desquels on contemple les dizaines d’îles de la baie de la Labuanbajo. La journée est agrémentée par de nombreuses conversations enrichissantes; la mère est anglophone et surtout enchantée par mon projet, mon enthousiasme et ma manière de voir le monde. Elle me pose cette intriguante question : “Comment t’on éduqué tes parents ?”. On ne me l’avait jamais demandé !

L’interrogation m’amène rapidement à réfléchir à ce qui me caractérise et surtout à identifier la force qui m’anime depuis plus de 400 jours sur la route. En repensant à mon enfance, je me revois en perpétuelle sollicitation, que ce soit par mes parents, mes frères ou mon environnement extérieur. Toutes ces stimulations m’ont amené à découvrir de manière quotidienne un tas de nouvelles choses et au fil du temps, découvrir est devenu une habitude et peut être même un besoin à satisfaire. Si dans un premier temps l’école a comblé mes attentes, en apprenant constamment de nouveaux sujets, je dois dire qu’arrivé à l’âge adulte, les voyages se sont avérés être la meilleure chose à mes yeux pour assouvir cette soif de découverte.

Après un bon silence de 30 secondes, je réponds à instinctivement à ma conductrice qu’il s’agit de la la curiosité qui me pousse à avancer. Ce désir de voir ce qu’il se cache derrière la montagne est sans aucun doute le moteur le plus puissant et le plus durable de ce périple. Je conçois que cette notion de curiosité puisse en surprendre plus d’un, Français comme étranger. Premièrement la langue française connote ce mot de manière assez négative, mon dictionnaire des synonymes fournissant indiscret et intrus comme semblables à curieux. Deuxièmement, ce n’est pas une vertu partagée par nombre de peuples sur la planète. Souvent difficiles à saisir pour les locaux, ils demandent toujours “pourquoi” je fais ça. Les notables et les riches qui pourraient avoir les moyens de voyager se contentent de consommer davantage en biens matériels. En Indonésie, la majorité des habitants n’ont jamais explorer d’autre île que la leur. Ceux qui en ont les moyens n’en voient pas l’intérêt.

Il y a également bien d’autres caractéristiques qui me définissent car je pense qu’il y a plus de curieux que d’individus entreprenant un tour du monde en stop. Pourtant, c’est cette soif de découverte et de nouveauté qui me motive. Notre planète et le genre humain sont si vastes. Chaque rencontre est unique. Chaque individu a une nouvelle histoire à me raconter, une nouvelle leçon à me prodiguer ou un foyer à me montrer…


Quelques jours plus tard, je tends mon pouce en sortie de Ruteng, préfecture du Mangarai. Alors que j’attends au bord de la route dans l’espoir de trouver un véhicule pour parcourir une centaine de kilomètres, je suis le plus heureux des autostoppeurs lorsqu’un enseignant ne faisant que trois pauvres kilomètres s’arrête. Il m’invite à prendre le café chez son collègue et en une dizaine de minutes, la pièce se remplit des professeurs du lycée professionnel de la ville. Itchon sert d’interprète et nous passons l’après-midi à discuter de tout autour d’un bon café et de morceaux de poulet frit. Ils me proposent alors de les accompagner en classe verte deux jours plus tard. Il ne me faut pas longtemps pour accepter. Ce genre de proposition ne se refuse pas !

Le village de Colol porte bien son nom. Le parfait endroit pour une colo cool. Nous arrivons à 200 étudiants et 40 profs dans ce hameau d’une centaine d’âmes, perché dans les montagnes. Dans les environs du petit bourg, les rizières en terrasse de couleurs émeraudes et ors sont sculptées sur les collines et peuvent parfois s’étirer sur 50 niveaux. Quand la vue est dégagée, on aperçoit les clochers des villages avoisinants, la luxuriante forêt tropicale ainsi que les falaises d’où jaillissent de nombreuses cascades. Les allées pavées serpentant entre les maisons sont jalonnées de canaux d’irrigation en pierre, surplombés de passerelles en bambou. Les maisons en bois sont décorées dans des teintes pastelles et lorsque le soleil se reflète sur leur toit en tôle, le tableau du village de Colol se colore d’argent. Les caféiers font office de haies et délimitent le terrain entre les propriétés. Chaque famille récolte et concocte son café de manière artisanale et je me délecte de déguster les différentes préparations. Plus ou moins rôties, les graines sont tantôt grillées avec du gingembre, avec de la menthe ou nature et bien entendu, chaque foyer moue plus ou moins son café. Servi plus ou moins concentré, plus ou moins sucré, chaque tasse est unique et démontre toute l’importance que détient le café dans le Mangarai. Ici le café c’est tout un art !

Le prêtre de Colol nous accueille en tenue traditionnelle et me remarque rapidement dans l’auditoire. Flatté de recevoir un « Prancis » dans son modeste village, il m’invite à prendre la parole devant l’assemblée et me fait signe qu’il a une chambre de disponible dans son presbytère. Il m’héberge au même titre que le professeur de théologie, son camarade du séminaire. Avec la mousson, les coupures de courant sont la norme et nous partageons ainsi de nombreux repas avec pour seule lumière de grands cierges à l’effigie de la sainte Vierge. Il prend la peine de bénir chaque repas dans les quelques mots d’anglais qu’il maîtrise et me fait asseoir à sa droite, quel honneur !

Le principe de la classe verte est assez intéressant : les lycéens sont logés et nourris par les villageois en échange de réparer les tracteurs, mobylettes, groupes électrogènes et voitures des lieux. Pendant 4 jours, je vis au rythme des étudiants, découvrant en profondeur leur vie et la manière dont la communauté s’organise. Si je peux leur apprendre l’anglais, ils peuvent quant à eux me montrer comment changer une bobine d’un générateur électrique ou comment réparer un rétroviseur. Ils réalisent qu’ils peuvent eux aussi m’enseigner de nombreuses choses et qu’ils s’y connaissent plus que moi sur beaucoup de sujets. À cette prise de conscience, ils s’illuminent, se sentent valorisés et leur timidité à mon égard s’efface complètement. Nous avons désormais de véritables échanges, ils ne me considèrent plus comme un professeur mais plutôt comme un ami un peu plus âgé. Quelle victoire que de motiver les jeunes indonésiens et de leur montrer que comme n’importe quel lycéen de leur âge, ils sont capables !

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Christine Hartmann

Merci pour vos récits poétiques,instructifs qui nous font déjà voyager depuis plus d’un an et dont on devient un peu accro😉

Jean-Pierre

Superbe photo qui dit tout. En plus, et depuis que tu es sur les routes, nous avons changé de ministre de l’éducation nationale (ça, ce n’est pas exceptionnel !) qui quelques jours plus tard est devenu premier ministre. Il a néanmoins eu le temps de remettre l’uniforme à la mode dans les écoles… Ce gredin ne nous avait pas dit qu’il avait pompé l’idée en Indonésie !

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