“Des crucifix dressés pour garder les campagnes
Des abbayes posées au sommet des montagnes”
– Michel Sardou
Jamais si peu de distance géographique avait renfermée autant de différence culturelle, autant de différence civilisationnelle. Pour tout vous dire un simple passage de frontière a contribué à l’effondrement d’un monde, remplacé par un autre, d’apparence bien plus familier. Mes premières heures en Géorgie m’ont frappé au plus haut point, mélange de retour en Europe, de retour en terrain conquis, bref de retour à la maison. Mais cette étrange sensation est elle une illusion ou une réalité bien plus profonde ?
Les cathédrales font places aux mosquées, les paysages ne sont pas très différents des Vosges, composés de prairies, de forêts et de petites collines, du vert tout simplement ! Les femmes sont bien présentes dans l’espace public, le drapeau de l’union européenne flotte régulièrement sur les bâtiments publics et le taux de change est bien plus proche de l’euro. J’ai l’impression de perdre en une heure tout le dépaysement dans lequel j’étais plongé depuis Istanbul.
Mais si en apparence la Géorgie peut sembler un pays européen, europhile n’ayant rien à voir avec une petite nation du Caucase, des échanges avec des géorgiens de tout âge, des étudiants internationaux et des réflexions personnelles m’ont permis de dresser un autre bilan, une autre perception de la Géorgie. Il est vrai que si beaucoup de parallèles peuvent être dressé avec la Roumanie par exemple, en fouillant comme à mon habitude, je me suis rendu compte que le pays était bien plus empreint du poids de son histoire.
Le premier fait marquant est que du fait de son histoire soviétique, la Géorgie est une nation intrinsèquement multiculturelle. On trouve dans le pays des grandes communautés d’Azerbaïdjanais, d’Arméniens, de Russe et d’autres peuplades de l’ex URSS. La communauté internationale composé par les étudiants et les expatriés en tout genre est loin d’être négligeable et contribue grandement à apporter de la nouveauté dans ce pays si millénaire.
De part cette composante multiculturelle, j’ai été invité chez Giulbaniz, une professeure d’anglais dans une région de culture Azerbaijanaise du pays. Suite à une intervention dans deux classes différentes de l’établissement, Giulbaniz m’a spontanément invité chez elle pour partager le repas de la grande fête Azerbaijanaise, la fête célébrant le retour du printemps. ll faut dire que mon allocution a tellement captivée les enfants, que plusieurs classes se sont jointes au cours. Ainsi les autres élèves de Giulbaniz on pu être répartis dans d’autres classes pour l’après-midi comme les autres profs d’anglais n’avaient pas travaillé ce matin là, elle pouvait donc rentrer chez elle ! Outre la cuisine complétement différente, la maison ne ressemblait en rien à une maison géorgienne : tout venait d’Azerbaïdjan : livres, mobiliers, assiettes…
J’apprends également que mon hôte ne parle que très peu géorgien et pratique comme bon nombre d’Azerbaïdjanais, le culte musulman. Il est intéressant de noter que dans cette ville de 10 000 habitants où je suis, il y a plusieurs mosquées mais aucune église. Je garderai de cette famille un accueil exceptionnel, un foyer des plus chaleureux pour ce jour si particulier qu’est le retour du printemps.
Un autre prisme venant brouiller mes apprioris de cette nation, est la différence entre se sentir “soviétique” et se sentir “russe”. Il n’y a quasiment pas de russe ici, et pas grand monde aime les russes, mais beaucoup regrettent les soviets. Cette idée, ce concept de faire partie d’un grand “tout” socialiste fascine encore beaucoup. Les personnes âgées étaient fiers d’appartenir à l’URSS, deuxième nation du monde.
Ma visite à la maison natale de Staline à Gori me confortera dans cette idée. Staline est un demi dieu ici, l’homme qui a vaincu Hitler, libéré l’Europe du fascisme, industrialisé le pays et fait sortir du moyen-âge la nation tsariste pour développer au plus haut l’union soviétique. L’aspect dictatoriale, les massacres de la collectivisation et autres facettes du dictateur sont soit passés sous le tapis, soit remis en question. “On ne sait pas si il y a eu des morts lors de la collectivisation”, m’assure Micha, la guide du musée de Staline.
Il est sûr qu’en gommant ses traits négatifs, Staline passe aujourd’hui pour une grande majorité de la population géorgienne comme un moustachu charismatique qui a vaincu le 3ème Reich et permis à l’union Soviétique de régner sur une grande partie du monde pendant un demi siècle. De plus la nouvelle génération géorgienne, peut-être plus susceptible d’avoir un autre point de vue et un regard plus critique que leur aïeuls, ne semble que très peu intéressée par l’histoire. C’est à ce titre que soit les gens adulent le petit père des peuples ou alors l’ignorent, voir l’oublient.
À Tblissi j’ai eu la chance d’être hébergé chez Aïcha, jeune étudiante française effectuant son stage à l’Institut français. Des discussions enflammées avec elle m’ont permis de percer d’autres mystères de la société géorgienne, pas si moderne et peut-être pas si occidentale que ça. “Je sens bien que je ne suis pas traitée comme un homme ici. J’ai des tâches moins intéressantes et je ne compte plus les remarques sur mes choix vestimentaires”. Pour mon hôte, l’orthodoxie a créée une société structurée autour du patriarcat qui est bien moins égalitaire que ce que laisse suggérer la loi.
Ne serait ce que pour les personnes me prenant en autostop, sur 10 conducteurs géorgiens, un seul fut une conductrice. Très timide d’engager la conversation, il faudra de long efforts pour que celle ci se livre complètement et me raconte sa vie, des plus passionnante. Incapable d’avoir des enfants, elle s’est rendue dans un monastère renommé pour ses miracles de fécondités. Trois années plus tard, elle était la maman de, trois garçons, aujourd’hui âgé de 11, 12 et 13 ans. Merveilleuse histoire qui fera fondre en larmes Zura lorsqu’elle me déposa au monastère précis, où a eu lieu le miracle.
D’autres part, si le pays peut sembler europhile, l’on peut remarquer que l’ensemble des sites touristiques possèdent des prix 5 fois plus élevés pour les étrangers, venant en grande partie de l’union européenne. Certains musées et sites touristiques affichent les langues Géorgienne et Russe mais pas l’anglais. La cuisine géorgienne est également des plus intéressante : mélange de gastronomie turque et slave, pour donner un délicieux mélange. On retrouve par exemple beaucoup de soupes très similaires à la Turquie, des raviolis à la patate comme dans l’est de l’Ukraine et des petits verres de vodka n’importe quand.
Après 7 jours en Géorgie j’ai l’impression que le pays est tiraillé entre haine des Russes et réalité politique : la Géorgie ne pouvant se fâcher complètement avec son menaçant voisin. De même qu’en Ukraine, si la nouvelle génération souhaiterait se tourner complètement vers l’UE, l’ancienne nostalgique de l’URSS et pragmatique sur les dernières invasions russe, ne souhaite pas tourner complément le dos à la Russie, au peur de devoir subir d’autres punitions, économique ou militaire.
Vue d’ensemble, la Géorgie est un pays charmant et fascinant à bien des égards. Le pays est russophobe mais sovietophile. Il est imprégnée d’une culture et d’une religion pouvant freiner le développement vers la modernité. Cependant l’afflux massif d’autres cultures “occidentalidant” le pays pourra elle longtemps cohabiter avec une culture plus que millénaire ? La Géorgie est un pays libre mais où règnent tout le poids des traditions. On ressent également le paradoxe de passer sous silences toutes les cultures du pays pour ne promouvoir uniquement la culture géorgienne. Tant de raisonnement ambiguë et intéressant, rendant obsolètes mes idées préconçues, que j’ai dû déconstruire pour découvrir les Géorgiens de mon temps, les Géorgiens de 2023.
Et personne ne parle de l’Ukraine ?
si si justement le parallèle est frappant ils ne veulent pas subir le même sort
Bonjour Lucas, j’habite LIVERDUN et je découvre par le journal de la mairie ton périple à travers le monde….Je suis admiratif et je vais suivre tes aventures avec intérêt …. Bon voyage et merci de nous faire rêver !!! Fabrice