Je viens du Sud – Poucepour1

Je viens du Sud

« Je viens du Sud et par tous les chemins j’y reviens »

– Michel Sardou

Ici, on ne joue plus au cricket mais au foot. Les clochers fleurissent dans les villages des campagnes, les voitures remplacent les scooters sur les routes, cette fois-ci bien bitumées. Parler anglais est la norme, tandis que le café fait son apparition sur les cartes des restaurants. J’ai même trouvé des Indiens allergiques au gluten ! Mais où suis-je tombé ? Particularisme régional, influence occidentale ou mode de vie du XXIème siècle ? J’ai la chance d’être hébergé chez Hari, un jeune étudiant en français qui me révèle toute cette métamorphose du Sud du pays.

Il m’a contacté sur les réseaux pour m’accueillir et me faire découvrir sa ville de Coimbatore. Il part en septembre prochain à Bordeaux pour effectuer une licence de management et souhaite bien profiter de la nouvelle possibilité d’obtenir un visa de 5 ans pour les étudiants indiens, annoncé le mois dernier par le Premier ministre indien de visite en France. Hari est passionné par la France, dont il a appris la langue en moins de 3 ans – il a commencé pendant la pandémie – et il se montre d’une excellente précision pour répondre à mes questions et dissiper mes conceptions.

Ici, l’école est obligatoire, on ne vit pas avec tous les membres de sa famille chez soi, et se marier avec des personnes hors de sa caste n’est pas vraiment dérangeant ; « qui porte encore de l’importance à ça ici ? » me lance Hari. Il est vrai que les différences physiques entre individus sont moins prononcées et la caste ne fait plus partie du nom de famille : « heureusement, on ne nous colle pas une étiquette comme dans le Nord », me dit-il en souriant. Notre discussion au bord d’un lac bleu azur et sous un bon soleil s’éternise pour mon plus grand plaisir. Il m’explique qu’il va au temple, mais c’est principalement pour l’ambiance plutôt que par piété religieuse. Il y a même un crucifix chez lui ; « nous avons des millions de dieux, pourquoi pas un de plus avec Jésus ? » me dit-il en plaisantant ! Hari s’est rarement aventuré au Nord de l’Inde, c’est trop rural et pas assez développé pour lui. S’il s’installe hors de sa région, ce sera en Europe ou en Amérique.

Je n’en reviens pas, tant de contrastes avec tout ce que j’ai vu pendant 2 mois. Une question me tourmente alors l’esprit et m’empêche de dormir sereinement ce soir-là : le Sud serait-il le précurseur d’un effondrement de la société indienne telle qu’on la connaît ? Au cours des 50 dernières années, la culture locale s’est lentement effacée à l’image du système des castes qui a reculé. De plus on porte moins d’importance au karma tout en s’occidentalisant à vitesse grand V. Cette influence va-t-elle se propager dans le nord ? Le mode de vie « à l’indienne » est-il sur le point de disparaître?

Je reprends l’autostop, plus désireux que jamais de mener l’enquête et d’éclaircir ce sujet. Les scooters se succèdent et j’en bénéficie pour regarder le paysage ; les maisons sont copiées sur les villas européennes, des croix trônent au sommet de chaque montagne et l’un de mes conducteurs, discutant anglais avec sa femme, se justifie par : « ça fait plus classe, tu comprends Lucas ? Ça démontre un certain statut ». Pendant les nombreuses pauses thé, je découvre qu’on le sert comme en Grande-Bretagne, finies les épices et le “massala chai”. Le sel et le poivre font leur apparition sur les tables des restaurants, tout comme les verres, on ne boit plus directement depuis la cruche. On peut également noter que la viande est bien plus présente, presque plus personne n’est strictement végétarien et les Hindous ne manquent pas de s’aventurer dans les quartiers musulmans pour manger du bœuf !

Je continue mon exploration du Kerala en assistant à la fête nationale de l’indépendance du pays et en explorant Munnar, une cité touristique au milieu des plantations de thé. Les paysages des terrasses à thé allant du jade à l’olive colorent les environs de la bourgade. Je m’aventure sur les hauteurs en évitant les quelques gardiens qui me font bien comprendre que je n’ai rien à faire là, mais où je réussis à arriver, le spectacle est encore plus admirable. Je contemple à plus de 20 kilomètres à la ronde les plantations en guettant les ouvriers agricoles qui commencent la récolte. Cascades, pics rocheux, routes sinueuses ponctuent le reste du décor.

À Munnar, comme dans le reste du Kerala, je fais face à une accumulation de preuves abondant dans le sens d’un Sud plus riche, plus prospère et surtout plus occidental. Les magasins et les produits proposés témoignent aussi de ce changement d’air ; ici on vend du parfum, du chocolat, du thé blanc, des huiles essentielles, des pâtisseries ou même des iPhones dans de véritables boutiques Apple. Les vendeurs à la sauvette et les grands-mères essayant de vendre deux bananes et trois noix de coco ont disparu. Tout cela ajouté à un climat sensiblement méditerranéen dégage une sensation de bien-être absolu, faisant flotter un doux parfum de « monde connu ».

Ce ressenti de retour à la maison atteint son paroxysme à Pondichéry où cette fois-ci je ne me sens pas en Europe du Sud mais bel et bien en France ! Ville fantasmée en métropole, c’était à mes yeux une étape incontournable de mon périple en Inde. Je l’ai souvent rêvé, imaginé, fabulé, mais quelle stupéfaction, quelle joie, quel émerveillement lors de mes premiers pas dans l’ancien comptoir français quand j’ai réalisé que tout était vrai !

Les passants discutent dans la langue d’Hugo sur les trottoirs tout en déambulant dans une ville à l’architecture et à l’organisation bien françaises. Les enseignes des magasins, les restaurants et les noms des rues sont tous en français. Je ne manque pas de repérer le drapeau tricolore qui surplombe l’ambassade, le lycée français, l’Alliance française et d’autres grandes institutions de notre patrie. J’entre dans une boulangerie pour la première fois depuis 6 mois et c’est avec une jouissance indescriptible que j’hume la chaude odeur des viennoiseries. Un peu plus loin, je commande un steak-frites au restaurant « Le Paris » tout en discutant en français avec le restaurateur indien, qui a passé la plupart de sa vie en banlieue parisienne, c’est vraiment la France ici !

Plage de sable fin, douceurs sucrées et auberge de jeunesse riche en jeunes voyageurs me procurent un bien-être indescriptible. J’ai l’impression d’avoir quitté cette Inde bouillonnante et confuse pour être arrivé dans un petit bout de paradis. Idéal pour m’y ressourcer quelques jours, avant de remonter vers le Nord et partir à l’assaut du dernier monstre sacré de mon périple en Inde, le Gange !

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