Le premier pays musulman au monde – Poucepour1

Le premier pays musulman au monde

Avancer, avancer et avancer. C’est le mot d’ordre qui occupe mon esprit ce matin lorsque je tends le pouce devant chez Shivam, mon hôte de ces derniers jours. J’ai 1100 km à parcourir pour relier Nagpur à Bangalore. Le GPS prédit 22 heures et je sais qu’en fonction de ma bonne étoile, deux jours peuvent se muer en une semaine. Un gigantesque contre-la-montre démarre avec Yussuf, qui m’emmènera en périphérie de la ville sur son scooter.

Les véhicules se succèdent, la pluie est battante et j’ai le sentiment de ne pas avancer. Il est 15 heures et je n’ai fait que 80 kilomètres. Les changements de véhicules incessants ainsi que les temps morts où je me protège de la pluie – et donc où je n’essaie pas d’arrêter les voitures – me font perdre un temps fou. Bien sûr, c’est sans compter qu’un conducteur sur deux m’offre une tasse de thé ; bref, je ne suis pas près d’être à Bangalore. J’aimerais bien trouver une voiture comme entre Bombay et Nagpur, mais il n’y en a pas ici, il n’y a que des camions et des scooters. Les villes sont trop espacées dans cette région et les personnes ayant les moyens n’hésitent pas à prendre l’avion.

Je décide alors de changer de stratégie et de tendre le pouce uniquement pour des camions. Je trouve rapidement un conducteur, mais celui-ci ne dépasse pas les 40 km/h. Avec les montées, les pauses thés et autres, nous ne faisons que 50 kilomètres en deux heures. Je n’en peux plus ; ma hantise se réalise ! Je suis exténué et sors du véhicule, le camionneur ne me posant pas plus de questions que cela. Quelques autres scooters me permettent de rejoindre la bourgade d’Ichoda à la nuit tombée. En 10 heures, je n’ai parcouru que 220 kilomètres, c’est mon pire record en 6 mois.

Aussitôt déposé de la moto, une trentaine d’Indiens m’entourent et me harcèlent de questions dans leur dialecte, incapables de concevoir que je puisse parler une autre langue. Fort heureusement, Aleem, le fils du forgeron du village, parle un anglais suffisant pour que je puisse lui expliquer ma situation : je cherche un toit. Il m’annonce qu’il n’y a pas d’hôtel et quand je lui glisse l’allusion que je dors souvent chez l’habitant, il me rétorque rapidement : mais qui te ferait confiance ici ? Quelle douche froide ! En regardant plus attentivement autour de moi, je remarque que tous les hommes sont barbus, beaucoup portent la chéchia – petit couvre-chef blanc en tissu – et qu’il n’y a aucune femme dans l’espace public ; je suis en terre musulmane.

Face à l’impasse, je sors l’article de journal de mon aventure, dévoile mon compte Instagram et étale la carte de mon voyage. La foule s’empresse de déchiffrer ces informations grâce à quelques ados qui traduisent aux plus anciens qui ne parlent que leur langue régionale. Aleem change de regard, ses amis aussi, et il m’invite au restaurant pour discuter de tout ça, me déclarant au passage que ce ne sera pas compliqué de me loger. Quel tour de force ! Qui aurait cru que les réseaux sociaux pourraient me tirer d’affaire ainsi ? Le ventre bien rempli de poulet – la première fois depuis 3 semaines, c’est au moins l’avantage des cités musulmanes – nous partons à la Mosquée, demander à l’Imam si je peux y résider. Accompagné par tous les jeunes du village, ce dernier accepte volontiers. Me voilà sauvé et prêt à passer dans les bras de Morphée sur la douce moquette de ce lieu de culte.

5h du matin, je suis réveillé par l’appel du Muezzin. Nuit plus courte qu’à l’habitude, mais je ne vais pas faire mon difficile. Un quart d’heure plus tard, la mosquée est quasi pleine et je peux assister aux rituels islamiques de si bon matin. Asim, un fidèle, m’invite chez lui pour prendre le petit déjeuner : un ragoût de bœuf avec des galettes, le tout à 6h. Asim, d’une gentillesse infinie en apparence, cherche par tous les moyens à me convertir, vantant les bienfaits de l’Islam et explicitant les incohérences de la foi chrétienne. Fuyant le débat, j’en profite pour écouter et analyser ses arguments, m’éclairant grandement sur la religion musulmane. Un peu de rhétorique me permet d’en apprendre beaucoup sur sa foi, sa perception du monde et de la vie, qui n’est rien d’autre que « l’avant mort » – la véritable vie commence après le jugement d’Allah. Voyant qu’il suscite mon intérêt, il m’offre une version du Coran et me lit quelques passages.

Je reprends alors le stop, bouillonnant de questions existentielles et théologiques. Un camion pile alors à ma vue et s’immobilise 200 mètres plus loin. Je ne manque pas de réaliser mon meilleur sprint pour ne pas laisser passer ma chance. J’escalade pour me hisser à hauteur de la cabine et demander : « Bangalore, Bangalore ? », « Yes, Yes, come on » me répond-il. Akhan, 37 ans, roule à bon 50 km/h et n’effectue des pauses que tous les 200 kilomètres, il est impressionnant. Son camion est confortable mais malheureusement, il ne parle que trop peu anglais et étant analphabète, Google Traduction est inutilisable… Nous communiquons de manière rudimentaire par gestes et grâce à mes quelques mots d’hindi. Je profite alors du temps pour me reposer, admirer le paysage, faire écouter à Akhan la variété française, jouer aux échecs ou encore lire le Coran.

Faut-il y voir une coïncidence, mais faisant du stop en sortie d’un village à majorité musulmane, mon camionneur est également de cette confession. Me voir lire le Coran le remplit d’une joie sans commune mesure et mes quelques mots d’arabe comme « Salam » ou « Choukran » ne manquent pas de lui faire croire que je suis musulman. J’ai beau lui expliquer, rien n’y fait. Par ailleurs, les seuls petits restaurants où nous nous arrêtons sont aussi tenus par des musulmans. Comme si les deux communautés ne se mélangeaient pas, bien qu’elles vivent dans le même pays. Les explications d’Akhan ainsi que la vidéo de l’interview télévisée me permettent d’être accueilli partout à bras ouverts, de ne jamais payer – les restaurateurs haussant violemment le ton lorsque je daignais sortir mon portefeuille – et surtout de trouver un toit, en l’occurrence un petit lit dans le restaurant du soir. Nous arrivons le lendemain soir en banlieue de Bangalore après une interminable journée dans le camion.

Bangalore est très loin de ce que je m’imaginais. En Europe, cette ville a l’image de la Silicon Valley indienne. Une fois en Inde, on me l’a présentée comme le hub de la high-tech, du code, de l’informatique et des sciences du numérique. Mais une fois sur place, que dire ? La ville grande comme deux fois Paris ne compte que deux lignes de métro, la pauvreté semble similaire aux autres grandes agglomérations et des villes inconnues pour les occidentaux comme Hyderabad ou Ahmedabad me paraissaient bien plus dynamiques. Les quelques gratte-ciels ou bâtiments ultra-modernes ne semblent être que des gouttes d’eau dans cette gigantesque fourmilière. Sans doute que cette industrie du XXIème siècle emploie des dizaines voire des centaines de milliers de personnes, mais qui doivent se noyer dans une ville de plus de 15 millions d’habitants.

Je n’y reste que deux jours, visitant la réserve zoologique, quelques musées et jardins avant de repartir vers Mysore. Mussaif, motard casse-cou, m’emmène à vive allure vers mon objectif du jour. Il dépasse fréquemment les 100 km/h et ai moment où je fais allusion à sa vitesse il me rétorque : “Allah nous protège puisqu’il t’as mis sur ma route”. Me voilà rassuré, mektoub comme ils disent ! Au moment de nous séparer, il m’invite simplement à venir dire bonjour à sa mère, comment refuser ! J’arrive alors dans une somptueuse demeure où 15 personnes m’attendent, me prenant tour à tour dans leurs bras et me posant encore 150 questions. Heureusement que c’était juste pour dire bonjour ! Chacun souhaite que je vienne chez lui pour y prendre des photos. Après quelques tours de maisons, j’arrive finalement chez Hamza, où cette fois, c’est le patriarche de tout le village qui m’accueille !

Lorsque je franchis le seuil de la porte, 20 personnes sont là, entassées dans ce qui pourrait ressembler à une petite salle à manger. Les cousins, les frères, les oncles et les grands-parents d’Hamza sont tous présents pour me voir. La grand-mère âgée, soi-disant de 120 ans, essaie tant bien que mal de se lever pour me laisser sa place dans le fauteuil. Je fais aussitôt des gestes pour expliquer que je peux rester debout et qu’il y a d’autres places, mais rien n’y fait, deux des cousins l’attrapent par les bras pour qu’elle aussi se lève. Lire toutes les expressions de son visage pour quelqu’un qui au crépuscule de sa vie contemple un étranger pour la première fois est très poignant.

Le père d’Hamza, sorte de chef du village et revêtu de l’habit traditionnel, me fait asseoir. Sa femme lui apporte alors un long foulard qu’il me remet sur les épaules ainsi qu’un collier rouge à grelot autour du cou. La sœur d’Hamza, en me glissant un sourire malicieux, vient me parfumer de musc le père m’oint et toute l’assemblée se met alors à m’applaudir. C’est ainsi qu’on accueille les personnes respectables ici ; je viens en effet de recevoir la bénédiction du patriarche, ce qui emballe l’assemblée et devrait placer la suite de mon voyage sur de meilleures bases encore. Bien sûr, la moitié du village prendra des photos avec moi dans cette tenue si inhabituelle pour un occidental.

La soirée se prolongera avec de nombreux repas, beaucoup de tasses de thé et même une virée à l’hôtel du coin pour faire un tournoi de petits chevaux, où les Indiens ne manquent pas de parier des sommes équivalentes à une journée de travail… Voyage humain et spirituel chez ses Musulmans d’Inde.

5 5 votes
Note de l'article
Subscribe
Notify of
guest
1 Commentaire
Oldest
Newest Most Voted
Inline Feedbacks
Voir tous les commentaires
Jean-Pierre

Comment il y a des sourates à peu près pour tout, j’ai cherché ce que disait celle qui est consacrée au voyage et quand la dire. Je te livre le résultat : Quand s’applique la prière du voyageur ? La prière du voyageur s’applique lorsque l’on parcourt une distance équivalente à environ 80 km à partir du domicile habituel.
Moralité, tu as beaucoup de retard à combler…
Ô Allah, nous Te demandons dans ce voyage la bonté pieuse, la crainte ainsi que tout acte qui procurera Ta satisfaction. Ô Allah, tranquillise-nous dans ce voyage et diminue-nous-en la distance. Ô Allah, tu es le compagnon de voyage et le remplaçant dans la famille. Ô Allah, je me mets sous Ta protection contre les fatigues du voyage, contre tout paysage source de chagrin, et contre tout mal qui nous frapperait, de retour dans nos biens et nos familles. »

1
0
Would love your thoughts, please comment.x
()
x