Le bout du monde – Poucepour1

Le bout du monde

C’est au détour d’une ruelle de Luang Prabang que j’entre dans le TEAC, le musée consacré aux ethnies du Laos. Je découvre stupéfait que le Nord du pays regorge de communautés animistes, vivant en autarcie parlant leur propre langue et semblant oubliées du reste du monde ! Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité et tendre mon pouce pour aller explorer ces régions parmi les plus méconnues de notre planète.

Malheureusement, un problème d’un nouveau genre apparaît : le concept même de l’auto-stop semble inconnu au Laos, voire inconcevable pour les habitants. Il n’existe même pas de mot dans leur langue pour décrire cette pratique ! Dans un pays où le tiers de la population vit du tourisme, se déplacer gratuitement à l’arrière d’une camionnette ou d’une voiture suscite des regards perplexes. Les minutes d’attente se transforment en des heures interminables au bord des routes laotiennes…

Comment me faire comprendre dans cette situation ? Aux abords des grandes villes, les stations-service font l’affaire. Je peux échanger et utiliser mon téléphone pour traduire et transmettre mon intention. Dans les zones reculés, seules des pancartes glanées dans les commerces avec le nom de mes destinations seront mon salut.

Même si l’attente s’allonge, je patiente dans des villages où je m’amuse avec les enfants. Sourires, grimaces, accolades, check… tout est permis pour faire rire les plus petits ! Au moindre véhicule qui s’arrête, je négocie une place dans la benne, souvent accepté. Être à l’extérieur est le meilleur moyen de profiter des paysages grandioses que m’offre le Laos, sans doute parmi les plus impressionnants de ce tour du monde.

J’arrive aussi plusieurs fois à trouver refuge dans les restaurants où je peux étendre mon matelas, recharger mon téléphone et profiter des toilettes. Inviter quelqu’un chez soi pour dormir ne semble pas être inscrit dans la culture laotienne. Même si ces derniers m’invitent parfois à manger chez eux, cela se limite au repas et pour un temps assez bref. Ces derniers restants assez timides. L’avantage du restaurant, c’est que je suis dans un lieu « intermédiaire » : je n’empiète pas dans la sphère privée des gens tout en jouissant de commodités et d’une sécurité appréciable.

Après 2 jours de stop intensif, j’embarque enfin sur une pirogue motorisée à l’embarcadère de Nong Khiaw. Nous sommes 10 par bateau, mélange de locaux et de routards, prêts à découvrir le bout du monde ! Les Laotiens reviennent avec des sacs de provisions, des motos et même un frigo ! Installer pareil objet sur une embarcation flottante et instable ne semble pas une mission bien compliquée pour les gens d’ici.

Les quelques heures de navigation me plongent dans un décor encore plus fascinant. En remontant la rivière, nous longeons d’imposantes montagnes recouvertes d’une jungle dense et impénétrable. Des paysages enchanteurs digne de Jurassic park ou King Kong se succèdent sans fin. De temps à autre, on aperçoit quelques habitations, toutes en bois et montées sur pilotis. Ces villages déconnectés de tout me donnent le frisson d’être le nouveau Marco Polo ou Christophe Colomb de ce siècle. Les enfants se baignent complètement nus, acclamant notre pirogue, une rare attraction qui ne se produit qu’une ou deux fois par jour. J’observe avec émerveillement les villageois pêchant, coupant du bois et utilisant notre pirogue pour transporter des marchandises – comme nous le ferions avec Amazon !

Le lendemain, j’entame ma marche pour me rendre dans un village tribal. Mon choix s’est porté sur celui de Huay Bo, dont le chef, un dénommé monsieur Kee, tient une guesthouse. Je quitte rapidement la piste pour serpenter à travers les rizières. Elles sont splendides en cette saison : mélange de jaune, d’or et de vert. Toutes ces nuances colorées donnent à ce lieu une touche de paradis. Les montagnes escarpées, les pitons rocheux et les falaises accompagnent le spectacle. De plus, c’est le moment de la récolte. Les fermiers récupèrent le riz pour mon plus grand plaisir. J’ai soudain le flash-back d’il y a 4 mois, jour pour jour ; je commençais ma marche du sel et j’observais les Indiens planter le riz, aujourd’hui on le récolte.

Après des traversées de petites rivières, après avoir demandé moult indications aux locaux pour ma route, après avoir marché pendant 15 kilomètres à travers piste, rizière et sentier de randonnée, j’arrive à Huay Bo. Il y a là une quarantaine de maisons, tout au plus. Les femmes tissent du fil et épluchent des légumes tandis que les hommes reviennent des champs ou arrangent leurs filets de pêche. Les adolescents ramassent du bois, réparent des fils électriques, s’attachent à construire de nouvelles habitations, bref, tout le monde travaille à Hauy Bo. Je suis vite repéré par la femme de Kee qui m’introduit à ce mystique chef de village.

Imposant, charismatique et d’un naturel plus qu’extraverti, il me met rapidement à l’aise, comme si on se connaissait depuis toujours. Il est aussi le premier Laotien bilingue que je rencontre, un point non négligeable. Il me présente les environs ; cascade, rizière, ruisseau, collines, tout en se dévoilant un peu plus… En tant que chef du village – élu tous les 5 ans par tous les adultes – il incarne l’autorité du Laos dans le hameau. Il résout les conflits, célébre les mariages et rend des comptes aux autorités du pays. Son père, chef du village avant lui, lui a légué de nombreuses terres qu’il fait fructifier grâce au travail des habitants. En effet, certaines personnes travaillent sa terre et Monsieur Kee récupère 50 % de la récolte, tel un seigneur médiéval régnant sur son domaine. Il habite dans la seule maison en brique du village – le reste des villageois vivant dans des demeures en bois -, il fait construire le lieu du culte du coin sur son terrain, possède un panneau solaire… Sacré personnage !

À la tombée de la nuit, la bourgade s’endort doucement. Les hommes rentrent des champs, les femmes commencent à allumer des feux pour s’éclairer et cuisiner tandis que les plus jeunes reviennent de l’école. La famille Kee et moi-même dînons dans la foulée avant de partir au lit vers 20h30… Si tôt me diriez-vous ? Sans lumière et sans wifi, on ne tarde pas tellement à aller au lit. Il faut dire que les coqs chantent dès 5h le matin, rythmannt le temps du village. Ici plus que nulle part ailleurs la vie est régie par la course du soleil. Dès 5h30, les habitants s’activent ; tâches ménagères, travaux des champs ou même les plus téméraires qui partent à la ville, en quête de marchandises ou d’internet.

Pour la première fois depuis le début du voyage, je mange uniquement des aliments produits par mon hôte : riz, légumes et viandes proviennent du village ! Comme il n’y a pas de réfrigérateur chez Kee, on garde les animaux vivants et on les tue juste avant le repas. Les poules, coqs et canards peuvent être consommés par une famille, tandis que les porcs et vaches sont gardés pour les mariages et autres événements où plusieurs villages se réunissent.

Au moment de nous séparer, monsieur Kee me fait part d’une proposition des plus inattendue : rester 1 mois dans son village pour enseigner l’anglais à son fils en échange du gîte et du couvert… Je suis muet face à une telle offre. Cela serait une formidable expérience que d’être immergé complètement dans un tel village, coupé du monde. En revanche, moi qui ai pour habitude de me déplacer tous les jours, arriverais-je à rester 1 mois dans un tel endroit ? Je quitte Kee en lui faisant part de mon intérêt et que je me laisse quelques semaines pour réfléchir…

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Jean-Pierre

Contre proposition : tu restes un mois mais avec tous les enfants du village… “Un p’tit gars de Liverdun plus fort que Mélenchon” le bouquin risque de bien se vendre !

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