Marche des volcans – Poucepour1

Marche des volcans

Atteindre le cap d’un an de voyage a constitué un moment particulièrement poignant. Comment ne pas se retourner pour contempler le chemin parcouru et les moments forts de ces 365 jours sur la route ? De manière paradoxale, au cours de ce périple en autostop, l’expérience qui a le plus comblé mes attentes fut la marche du sel en Inde. Chaque élément constitutif de cette aventure m’a apporté une satisfaction totale : la performance physique, la découverte d’un monde rural oublié, ou encore la symbiose avec les habitants. Pendant huit jours, j’ai réussi à partager tous mes repas avec des Indiens et chaque soir, j’ai trouvé refuge grâce à leur générosité. Une immersion parfaite que je souhaitais absolument revivre lors de ce séjour en Indonésie. Permettez-moi alors de vous présenter la marche des volcans : 5 jours d’aventure dans les campagnes javanaises…

Je débute mon périple au pied du somptueux temple de Borobudur. Après avoir quitté les faubourgs de la ville, je me retrouve rapidement plongé au cœur des rizières et des plantations. La circulation se limite à quelques scooters chargés de sacs de riz et de cagettes de fruits. En traversant des villages que la mondialisation semble avoir oubliés, je remarque des habitations modestes, construites en bois ou en agglos épars, abritant les travailleurs qui veillent à nourrir la population indonésienne. Les cafés, restaurants et autres vendeurs de bubble tea qui animaient chaque rue des bourgades plus importantes ont tous disparu. Les seuls commerces sont des épiceries de dépannage vendant principalement des cigarettes, des nouilles instantanées et des bouteilles de coca. Les loisirs semblent avoir disparus ici …

La route s’élève peu à peu et avec elle le paysage se transforme. Alors que les rizières en terrasses occupent les contreforts des volcans, les cultures d’oignons, de radis et de piments prennent progressivement le relais à mesure que j’atteins des altitudes plus élevées. Les matins précédant la mousson, les agriculteurs s’activent à labourer la terre, ameublir le sol ou à récolter leurs semences. Aucune machine n’est en vue, tout le travail s’accomplit manuellement, à la force humaine, et les parcelles qui s’étendent à perte de vue forment ensemble un gigantesque potager. Papaye, avocat, thé, cacao, poireau et pomme de terre sont les dernières plantations avant les dernières forêts de la montagne.

Au crépuscule, j’atteins un marché populaire à la recherche d’un abri pour la nuit. On m’apprend qu’il n’y a ni hôtel, ni chambre d’hôte, et qu’il serait préférable de retourner en ville : inimaginable après 30 kilomètres de marche, je ne souhaite pas faire demi tour ! Sympathisant avec quelques jeunes qui traînent, je leur expose ma situation, précisant simplement que je cherche un petit coin de sol pour étendre mon matelas. Le visage d’Ikbad s’illumine alors, et il me fait signe de le suivre. Dix minutes plus tard, me voilà installé dans sa demeure, où sa mère m’apporte une généreuse portion de nouilles aux œufs, son père dispose un épais matelas dans le salon, et Ikbad revient avec une grande tasse de chocolat chaud. Ce court laps de temps, durant lequel je passe de simple vagabond à invité choyé, où mes hôtes font tout pour mon bonheur, provoque à chaque fois une émotion unique et enivrante. La générosité humaine et cette capacité de briser la glace avec des parfaits inconnus, de tous les milieux sociaux, de toutes les cultures et de toutes les religions est sans doute l’une des plus grandes satisfactions de ce voyage.

Le lendemain en fin de journée, un scooter me klaxonne, je souris naturellement puis le véhicule s’arrête. Un Indonésien de mon âge, manifestement intrigué par la présence d’un étranger dans son village, me bombarde de questions avant de me proposer spontanément de venir dîner chez lui. Sa mère, sa sœur, ainsi que quelques amies, m’accueillent chaleureusement tandis que les hommes du village sont encore aux champs. Le sol en glaise et l’escalier menaçant de s’effondrer me laissent perplexe quant à l’état de la maison, s’il est achevé ou en cours de travaux. Eko me tend une assiette de riz mélangé aux nouilles, qui chauffent constamment au-dessus du feu. À l’aide du traducteur, j’explique mon périple. Leurs regards interrogateurs font écho à ma perplexité initiale. En chœur, ils me demandent pourquoi je voyage.

Leur question confirme mes interrogations des premiers jours et met en lumière des réalités plutôt dramatiques. Dans ces campagnes indonésiennes, la vie est entièrement axée sur le travail, sans place pour de l’amusement. On se contente de subsister. Si les activités telles que le sport, les loisirs, et les voyages sont inconnues, la famille est également un concept flou. Les repas ne sont jamais partagés, chacun se servant à sa guise dans la grosse marmite qui conserve le riz à température toute la journée.

À 23 ans, Eko est marié et père d’un enfant de 10 mois. Tout au long de la soirée, il ne prononce pas un mot pour sa femme ni même pour son fils. Les échanges avec les autres membres de sa famille sont limités et principalement factuels. Eko ne sait pas si sa petite sœur étudie encore ni même l’âge de son frère. Plus tard dans la soirée, alors que nous nous réchauffons autour du feu, le père de famille rentre des champs. Il a le visage balafré, fatigué, semble exténué mais ne dégage pourtant aucune émotion. Ma présence sous son toit ne le surprend pas plus que ça, il se contente de demander une photo pour la partager avec ses amis sur WhatsApp.

Mon séjour chez Eko me questionne beaucoup. Sa famille fait sans doute partie des gens les plus démunis m’ayant reçu. Ils ont une maison de fortune, se nourrissent exclusivement de féculents, et toute leur vie oscille entre les champs et tuer le temps à la maison. Pourtant, ils me reçoivent comme l’un des leurs, avec une générosité sans égale. Les jours suivants je trouve tout aussi facilement un refuge chez les locaux.

Lorsque je marche, je prends le temps. Un temps que je ne prends pas forcément lorsque je tends le pouce, et où la principale préoccupation est d’avancer. J’ai le loisir de contempler chaque paysage, chaque merveille de la nature, mais surtout, j’ai le temps de sourire à chaque personne. Tour à tour, elle me rend la pareille, m’apostrophe, ou engage une petite conversation. Je me retrouve ainsi à partager un repas avec des paysans, assis sur des sacs de pommes de terre. Il m’arrive même de prendre un café avec une directrice d’école, bien que ma demande initiale ait simplement concerné l’accès au wifi. Une autre fois, mes voisins de restaurant, avec qui j’avais échangé trois phrases, décident de régler l’addition sans même m’en informer. Ne pas avoir d’objectif, contrairement à la marche du sel, m’offre une liberté supplémentaire. Je ne suis pas pressé, je ne suis pas angoissé à l’idée des kilomètres qui restent à parcourir et les rencontres impromptues se font bien plus facilement. Néanmoins il est plus difficile d’aller trouver de la motivation pour marcher des heures sous la pluie !

Malgré la mousson, rendant la marche presque impossible les après-midis, j’atteins le sommet du Sumbing et du Sikunang. Le premier, plus élevé, se trouve la tête dans les nuages et ne m’offre qu’un maigre panorama. Le deuxième, dont le cratère émet du souffre, et malgré une météo capricieuse, offre un spectacle saisissant. Des fumées jaunâtres, à l’odeur âcre, s’élèvent des entrailles de la terre, créant une scène captivante sous une pluie battante. À proximité des fissures, un petit lac d’un éclat émeraude émerge. Tel un jacuzzi naturel, il dégage une atmosphère volcanique avec ses bulles et ses vapeurs.

Après une petite semaine de randonnée, je rentre heureux à Borobudur. Satisfait d’avoir réussi à m’immerger dans les campagnes, d’avoir fait de belles rencontres humaines et d’avoir parcouru plus d’une centaine de kilomètres à pied, sur un terrain rarement plat. Je peux prolonger mon visa et je suis fier de dire que l’aventure en Indonésie continue pour encore 1 mois de plus !

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Jean-Pierre

Un an déjà ! On a à chaque fois le sentiment que tu vas poser ton sac… Comment fais-tu pour “abandonner” toutes ces familles et tous ces gens magnifiques que tu rencontres ?

Hamon Catherine

Merci de ces récits qui permettent de relativiser nos petits tracas quotidiens. Beaucoup devrait te lire pour prendre de la distance avec des querelles sur tout et rien (hygiène, tradition, accueil…) qui nous pourrissent la vie dans les pays dit “civilisés “

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