La société indienne – Poucepour1

La société indienne

« Des peurs obscures nous viennent des autres races humaines »

– Michel Sardou

Cela va bientôt faire deux mois que je suis en Inde. C’est plus que dans les 4 pays d’Asie centrale. Si je n’arrive pas à partir, c’est que je suis tombé sous le charme de cette nation. La société entière de ce pays m’a envoûtée. Une multitude de langues, de courants religieux, de castes, de normes sociales ou encore de différences civilisationnelles rendent cette culture indienne si fascinante pour l’autostoppeur occidental que je suis. Au-delà des contrastes, c’est cette soif de comprendre qui m’anime chaque matin depuis que je suis en Inde et me pousse toujours à interroger, à découvrir et à décoder cette civilisation ; véritable chasse au trésor pour embrasser 5 000 ans de traditions ancestrales.

Je précise que cet article n’est en aucun cas une critique ou un jugement porté à la société indienne, simplement des observations et constats vues par un Français, comportant les parts de surprises et de chocs, tant les deux cultures sont éloignées et opposées.

Revenons à l’aventure. Ça peut paraître fou, mais sur ces 3 dernières semaines, je n’ai payé que deux fois mon hébergement. Tout le reste du temps, je loge chez l’habitant ou grâce à eux. Ces derniers me conseillent des temples où je peux étendre mon matelas, des cliniques avec des lits de disponibles, des restaurants où je peux m’allonger sous les tables ou m’offrent même la chambre d’hôtel, prétextant que leur demeure est trop modeste.

C’est en décalage complet avec nos principes européens. Je voudrais alors vous éclairer avec la première clé de compréhension de ce monde ; l’étranger est considéré commme un dieu pour les hindous. Bien sûr, ils ne sont pas monothéistes et leur panthéon regroupe plusieurs millions de dieux, je ne suis pas le seul ! Néanmoins cela annonce la couleur. Si dans les pays musulmans j’étais reçu comme un roi, ici je suis reçu comme un dieu. C’est donc un honneur immense que de m’inviter, de m’héberger, de me nourrir ou bien de prendre des photos avec moi. Ceci explique mieux pourquoi à chaque invitation, on appelle toute la famille en visio, on fait venir les amis, on m’emmène chez les voisins… bref c’est un petit événement. La joie que semble déclencher mon séjour chez eux est immense et me réchauffe le cœur. Tout le monde prend du plaisir et passe un bon moment.

Une fois à leur domicile, je peux observer leurs mœurs, leurs coutumes et leur manière de vivre. Je découvre également leurs relations au sein de leur famille, avec leurs amis, leur rapport au travail et ceux pour tous les types d’indiens que je rencontre ; quelque soit leur statut social, leur caste et leur profession. Des similitudes se dégagent, des points communs émergent et petit à petit j’arrive à déchiffrer cette culture même si je reste encore bien loin de sa compréhension.

Mais à chaque fait observé, une question reste en suspens, véritable norme ou spécificité des individus en face de moi ? Tout le monde mange avec sa main ou seulement les plus démunis ? Les hindous qui se couvrent à l’extérieur le font par choix ou par obligation ? Une femme peut-elle choisir son propre métier ou uniquement dans certaines castes ? Le fils est-il voué à reprendre l’entreprise de son père ou cela dépend-il de la religion ? Certaines castes sont elles végétariennes ou s’agit-il de choix privés de leur membres ? Tant d’interrogations auxquelles je ne peux jamais poser les questions directement, mais dont patience, analyse et curiosité m’ont permis d’y répondre.

C’est à ce titre que notre deuxième clé de compréhension est le système des castes. Bien qu’officiellement abolie,  celles-ci continuent de jouer un rôle majeur dans la société. L’ensemble des castes forme une multitude de communautés endogènes qui ne se marient qu’entre elles – on compte moins de 5% de mariages intercastes. Ainsi, sur des milliers d’années, le travail, l’exposition au soleil, la malnutrition, et les événement  – l’évolution en somme- ont édifié les morphologies, les faciès et les caractères des individus des castes. C’est pourquoi on peut reconnaître, identifier et presque savoir au premier coup d’œil le groupe de l’individu en face de soi.

Cela peut être considéré comme horrible pour le bon français partisan des idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité de 1789 ; ton faciès définit qui tu es. Ici, la naissance semble compter plus que n’importe où ailleurs. Les plus nécessiteux sont halés, plus petits que la moyenne, chétifs et d’une timidité effrayante. Les Brahmanes, au sommet de la pyramide des castes, sont quant à eux beaucoup plus clairs, grands, charismatiques et ils exercent les meilleurs métiers… Comme en Europe à l’an mil où la noblesse ne se reproduisait qu’entre elle et conduisait à ces variations de l’espèce humaine. Je citerai par exemple François 1er, qui il y a 500 ans de cela mesurait 1m98, taille qui même aujourd’hui est impressionnante.

Mais pourquoi n’y a-t-il pas eu de révolution indienne me direz-vous ? Simplement car tout le monde s’accommode de ce système du fait de la religion et plus particulièrement du Karma, qui est notre troisième clé. Cette théorie du Karma stipule que si je fais le bien, le bien m’arrivera et si je fais le mal, le mal m’arrivera. Si les gens sont pauvres, miséreux et dans la souffrance, ils le sont alors du fait de mauvaises actions dans cette vie ou dans celles passées, aussi incroyable que cela puisse paraître c’est de leur responsabilité ! En effet, les hindous adhérant à la réincarnation, les actions néfastes des vies antérieures influencent directement la vie présente.

Cela rentre en opposition totale, complète et unanime avec nos sociétés chrétiennes qui prônent le pardon, la repentance et d’aimer son prochain comme soi-même où l’égalité nous est fondamentale. Ici, comment puis-je aimer ou ne serait-ce qu’aider les plus nécessiteux alors que je sais qu’ils ont fait le mal et qu’agir en leur faveur viendrait en contradiction avec mes valeurs morales et religieuses ? Pire, cela reviendrait également à trahir ma famille et ma caste d’avoir agi de la sorte. Aussi terrible que ce soit – pour un Européen bien sûr – il est mal venu de donner à un plus pauvre. S’il est pauvre, c’est qu’il le mérite – c’est du moins comme cela que pensent les Indiens.

Paradoxalement, les plus fortunés, les personnes qui réussissent ou sont naturellement beaux sont des êtres qui ont fait beaucoup le bien pour en arriver là. En effet, si en faisant le bien, le bien m’arrive; si j’ai une bonne situation, cela se justifie grâce à mes bonnes actions passées. C’est pourquoi les hindous, me voyant arriver blond, avec les yeux bleus, ayant réussi à parcourir 20 000 km d’autostop grâce à la seule générosité humaine, me prennent pour quelqu’un ayant de vertueux et de très respectable. Je l’ai donc provoqué car selon le karma, par le passé ou dans une autre vie, j’étais très bon, gentil, généreux, etc. Ces derniers se montrent alors encore plus hospitaliers et agréables car je suis selon eux aimé des Dieux pour en être arrivé là.

Cela permet de remettre dans son contexte et d’expliquer notre première clé ; les étrangers sont des dieux. En effet, ils sont riches, pour la plupart blancs et grands et cochent toutes les cases de réussite pour un Indien, ce sont donc des gens qui ont fait le bien, il faut donc les respecter et les honorer plus que quiconque. J’espère ainsi avoir bouclé la boucle avec ces trois principes ; l’étranger est un dieu, le système des castes et la théorie du karma qui façonnent cette société millénaire.

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