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Le Marathon d’Angkor

Après une traversée éclair à travers le Sud de la Chine, le Vietnam et une partie du Cambodge, j’arrive à Siem Reap le 20 janvier 2024. Avançant sans relâche vers le Sud, de jour comme de nuit, je boucle près de 4000 km en moins d’une semaine. Une jolie performance alors que mon téléphone était cassé : je me suis trouvé subitement dépourvu de carte, d’outil de traduction et de tant d’autres fonctionnalités. Au bord des routes il m’était presque impossible de me faire comprendre, comme si on m’avait coupé la langue ! J’ai redécouvert la langue des signes et des mimes, mises de côté par les progrès technologiques. La neige n’est plus qu’un lointain souvenir, et la chaleur tropicale du Cambodge m’accueille, offrant un contraste de près de 70°C depuis la Mongolie… La visite des ruines d’Angkor équivaut à plonger à pied joint dans un livre d’histoire, révélant une civilisation qui a sombré dans l’oubli pendant de nombreux siècles. Une cinquantaine de temples, de monastères, de palais et de portes, tous plus imposants les uns que les autres, dévoilent la cité perdue d’Angkor. Désertée par sa population, la végétation a opéré un lent retour, offrant un spectacle d’une parfaite symbiose : arbres, lianes, champignons et mousses reprennent leurs droits entre les statues, les bas-reliefs et les colonnes de ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Je me rends de temple en temple à vélo, bravant les 35°C ambiants, lorsque qu’un motard équipé d’un gilet fluorescent me tend un mystérieux tract au sujet de l’Ultra Trail d’Angkor – UTA . Intrigué, je commence à discuter avec les bénévoles qui organisent l’événement sportif ; ils s’affairent à baliser le parcours dans les broussailles au bord de la route. La course se déroule dans 3 jours, et je suis vite emballé par le nouveau défi qui s’offre à moi. Huit épreuves sont proposées, s’étendant de 8 à 100 km, mais une distance en particulier captive mon attention : le marathon, avec ses mythiques 42,195 km. Je n’en ai jamais couru, mais ne serait-ce pas l’occasion rêvée, dans ce cadre si exceptionnel, de tenter un tel exploit ? Cette nuit-là, mon esprit bouillonne d’interrogations. Est-il encore possible de m’inscrire ? Le coût est-il raisonnable pour mon budget ? Ai-je le niveau nécessaire pour m’engager dans un marathon sans la moindre préparation ? Personne n’a jamais couru de marathon dans mon entourage, si ce n’est un ami proche de mon père, mais cela lui a pris une année de préparation, avec des entraînements 3 à 4 fois par semaine. Suis-je prêt à relever un défi aussi exigeant ? Ou serai-je inconscient ? Aux premières lueurs du jour, je me rends à l’hôtel Paradise, le quartier général des organisateurs. Là, je fais connaissance avec Laurence, une photographe professionnelle couvrant la course, Yves, un jeune retraité reconverti en speaker, Michel, un polytechnicien vidéaste, mais surtout Jean-Claude, le président de l’UTA. Toutes les informations nécessaires me sont fournies, mais un obstacle se dresse devant moi : le dossard coûte 140 $, soit mon budget pour deux semaines. Abasourdi par le prix mais pas découragé, je commence à partager mon projet avec eux, exposant mon parcours et évoquant la possibilité d’une collaboration. J’espère qu’un peu de communication de ma part pourrait les intéresser et me valoir une remise. Ne dit-on pas que qui ne tente rien n’a rien ? Ma requête trouve rapidement écho. Yves, jusque-là discret, sursaute et se souvient de moi ; il a vu mon passage sur RTL le mois dernier alors que j’étais en Mongolie. Jean-Claude, qui cherche à promouvoir sa course, est enthousiaste à la proposition et quelques minutes à la radio lui serait d’une précieuse aide. « La visibilité est le nerf de la guerre aujourd’hui » me glisse t’il. Il esquisse un sourire , me tend la main et me confirme qu’il m’offre un dossard pour le marathon dans 42 heures. Peut-on se préparer à courir 42 km en 42 heures ? J’en suis convaincu. Je me lance dans des footings, ajuste mon alimentation, m’imprègne des conseils de marathoniens trouvés sur internet, et investis dans un short de course et une casquette. Je glane aussi quelques recommandations auprès des bénévoles qui sont tous unanimes : la chaleur sera mon principal ennemi, la température prévu frôle les 35°C ! Rejoindre la liste de diffusion Après 20 pays traversés, 40 000 km d’autostop, un réveil à 3h40 du matin et un transfert en minibus, je me retrouve sur la ligne de départ du 1er marathon de ma vie. Je suis motivé et déterminé comme rarement je l’ai été ces derniers mois. Objectivement, je ne suis pas du tout prêt pour une telle épreuve, avec seulement deux minimes entraînements et une alimentation discutable. Cependant, intérieurement, je me sens bien et résolu à relever le défi. La confiance en moi acquise au cours de cette Odyssée est plus que palpable ce matin-là. Autour de moi, près de 200 athlètes s’échauffent tandis que les premiers rayons du soleil percent la nuit noire. Jean-Claude, qui m’a remis mon dossard 42 heures auparavant, donne le départ, le peloton de coureurs s’élance, il est tout juste 6h. Les premiers kilomètres traversent des sentiers, des rizières, des temples en ruines et quelques villages. Les jambes répondent bien, et je calque mon allure sur une Cambodgienne avec qui j’échange quelques mots en plein milieu de la campagne khmer. J’apprendrai par la suite qu’il s’agit de Nary Ly, la première marathonienne cambodgienne à participer aux Jeux Olympiques, rien que ça ! En traversant les villages, enfants et parents accourent pour assister à la compétition. Les plus jeunes n’hésitent d’ailleurs pas à tendre leur main pour obtenir un “check”. Mettre des sourires sur les visages des plus petits est un moteur de plus lors de l’épreuve. Les bornes s’enchaînent, j’ai une bonne vitesse et je passe sous la barre des 2 heures au semi marathon. Quand soudain, le 25ème kilomètre passé, mes jambes ne répondent plus. M’arrêtant un instant, j’essaie de redémarrer quelques secondes plus

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L’Empire du milieu

Comment résoudre cette équation : 3000 km d’auto-stop, 15 jours imposés par le visa, et ma soif de découvrir l’empire du milieu ? Mon esprit d’ingénieur s’active pour élaborer une solution : vivre à fond ! Rarement, au cours de mes 11 mois de voyage, ai-je vécu une telle intensité. Nuits écourtées, journées débordantes, absence de repos, et émerveillement perpétuels définissent ces deux semaines en Chine. Ma traversée rapide du désert de Gobi, couvrant 500 km à travers des paysages immaculés, m’amène à Ulan Qab. Cependant, dans cette métropole de 2 millions d’habitants, trouver un hébergement devient un véritable défi, les hôtels refusant systématiquement les étrangers. Désespéré face à la perspective de dormir dehors par -25°C, je me fais remarquer dans le hall d’un établissement. Quatre étudiants bienveillants me prennent sous leur aile, m’escortent en taxi jusqu’à l’unique hôtel 5 étoiles autorisé, et prennent généreusement en charge les 2/3 du montant exorbitant de la chambre. À peine croyable, je me retrouve dans une suite luxueuse équipée d’une baignoire, d’un fauteuil Voltaire, et d’un écran plat pour célébrer la Saint-Sylvestre. Néanmoins, la leçon est retenue : il me faut trouver un moyen plus facile et moins angoissant de me loger. Le lendemain, je fais la connaissance de Jacob via Couchsurfing, un immigré philippin enseignant l’anglais à l’école primaire. Sa situation n’est pas unique, de nombreux postes de professeurs d’anglais sont occupés par des internationaux ; faisant partie de la nouvelle approche éducative chinoise visant à former une génération bilingue. Ensemble, nous explorons la ville, dont le principal attrait réside dans son centre commercial. Concerts, tubituba et voiturettes électriques animent les allées de ce mégacentre commercial ultramoderne. Néons, casques de réalité virtuelle, et paiement par reconnaissance faciale me catapultent dans la Chine de 2024, une nation futuriste et plus capitalisée que tout autre pays de mon voyage. Au pays du marteau et de la faucille, la consommation semble être devenue la nouvelle religion d’État. Avec la virtualisation totale, l’argent n’échappe pas à cette transformation. Une fois immatériel, il n’est rien d’autre que des points sur un compte WeChat ; l’application chinoise regroupant banque, réseaux sociaux, GPS, etc. Les Chinois deviennent alors frénétiques à l’idée de dépenser leurs points. Musées, opéras, bibliothèques, parcs ou cinémas sont introuvables ici, un loisir rime systématiquement avec utiliser ses crédits, que ce soit dans un bon repas, des vêtements ou une voiture. On ne peut s’empêcher d’imaginer la réaction de ce pauvre Mao face à ces millions de Chinois sirotant leur bubble tea en faisant du shopping tout en s’empiffrant de fast-foods… c’est donc ça le communisme à la chinoise ? Jacob est par ailleurs le premier couchsurfer depuis 6 mois. J’avais mis en pause l’utilisation de l’application suite à de trop nombreuses mauvaises expériences en Inde. La séparation est difficile, nous avons passés 24 heures hors du commun ensemble et sa gentillesse m’a permis de retrouver temporairement la chaleur d’un foyer. Heureux de cette nouvelle fréquentation, je renouvelle l’utilisation de Couchsurfing dans toutes les grandes villes de mon passage ; le meilleur moyen de rencontrer des anglophones et de passer à travers les mailles du filet de la réglementation chinoise. Cette interaction privilégiée est une façon unique de découvrir le quotidien des Chinois, leur domicile et leur vie, profitons-en ! Hébergé tantôt chez un maître taoïste, une consultante en finance, un homme d’affaires et une artiste, je tisse des liens avec des personnes passionnantes, conviviales et bienveillantes. Bien loin des stéréotypes parfois peu flatteurs attribués en Occident, j’ai découvert chez les Chinois une générosité à mon égard comparable à celle de l’Inde. Toujours aux petits soins, faisant preuve d’une serviabilité et d’une amabilité sans bornes, les enfants du Céleste Empire ont transformé mon séjour en une odyssée humaine. Passant de rencontre en rencontre, je n’ai jamais éprouvé la moindre heure de solitude dans l’empire du Milieu. Des cadeaux spontanés de passants, des explications sur la culture chinoise par des étudiants, des offrandes de nourriture par chacun de mes conducteurs, et des sourires omniprésents sur mon passage ont rythmé ces semaines. Oh bien sûr, il y a des exceptions, et certains dans les stations-services ne me laissaient même pas le temps de leur adresser la parole, j’étais parfois dévisagé dans le métro, 5 téléphones étaient en permanence braqués sur moi dans les lieux publiques mais dans sa globalité, j’ai été reçu partout comme un prince. A l’inverse d’autres cultures, le chinois est dans un premier temps plus réservé et envisage moins l’altérité, mais une fois la glace brisé il dévoile une montagne de gentillesse et de bonté. C’est à ce titre que j’ai passé les 3/4 de mes repas à être invité au restaurant avec mes hôtes ou conducteurs, de même que je n’ai passé seulement 3 nuits dans des hôtels. Il est intéressant de noter que les deux nations les plus peuplées du monde sont celles qui abritent les habitants les plus généreux. Les chinois mettent en effet un point d’honneur à m’inviter au restaurant et à me faire découvrir leur gastronomie. Le rapport à la nourriture semble nettement différent par rapport aux autres cultures que j’ai côtoyées. Ici manger au restaurant n’est pas une exception, mais plutôt une partie intégrante du quotidien pour beaucoup d’habitants, et ce quelque soit le milieu social. Je peux facilement les comprendre, car parmi toutes les nations que j’ai visitées, la cuisine chinoise est de loin ma préférée. Avec sa diversité, ses arômes, ses saveurs et des plats toujours plus élaborés, chaque repas en Chine est un véritable délice. Si la nourriture est fameuse, le stop lui est paradoxale. Les temps d’attentes sont relativement courts lorsque j’agite le pouce, une poignée de demande aux automobilistes des stations essences suffisent pour obtenir un trajet néanmoins des problèmes d’un nouveau genre surgissent. Comment échapper à ces banlieues interminables ? Mon itinéraire est parsemé de villes de 5 à 10 millions d’habitants, et trouver l’endroit idéal pour faire du stop relève du cauchemar, d’autant plus que mon fidèle allié Google Maps se montre inutile ici. Les

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Tout est possible

Que connait-on réellement de la Mongolie, sinon ses steppes mystiques, ses yourtes éternelles et le grand Genghis Khan ? Beaucoup s’imaginent un pays champêtre, composé de vastes étendues où pullulent des campements dans les régions les plus hospitalières. On pense également aux conquérants qui ont terrassé les peuples asiatiques, développé les routes de la soie, ou établi un empire s’étalant sur toute l’Eurasie, du Pacifique à l’Adriatique, forgeant de surcroît l’histoire du monde. Certes, le grand Khan est omniprésent. Son effigie orne tous les billets de banque, chaque ville compte plusieurs statues à son image, et chaque Mongol est capable de réciter ses exploits; allant jusqu’à lister ses petits enfants. Les musées font son apologie, mettant en avant l’art de vivre mongol à travers les chevauchées dans les steppes, les sports de combat, la musique traditionnelle et une alimentation extrêmement carnée, formant ainsi l’identité nationale. Mais le pays à la plus faible densité de population serait-il figé dans un décor enchanteur et un glorieux passé ? Nostalgique d’un âge d’or révolu, quelle est la réalité de la Mongolie au XXIe siècle ? Abordant cette nation à contre-courant, j’ai souhaité la découvrir à travers les yeux de ceux qui en façonnent l’avenir : la jeunesse du pays. Publications sur les groupes Facebook ainsi que repérage des établissements d’enseignements m’ont permis d’y arriver. Lors de ma deuxième soirée en ville, je fait la connaissance de Baska, un jeune étudiant de 18 ans ayant vécu quelques années de son enfance à Montpellier. Ambitieux, déterminé et d’une grande générosité, à l’image de son peuple, il me partage son parcours et ses projets : « Je ne veux pas rester en Mongolie, c’est un pays corrompu sans débouché pour moi. Comme je parle français, je veux aller au Canada». Curieux je lui demande ; « Pourquoi le Canada ? »,  « Il fait trop chaud ailleurs » me rétorque t-il. Baska prépare un examen pour intégrer une université canadienne à la rentrée prochaine, considérant cela comme une formidable porte d’entrée sur le monde occidental, le rêve. Après notre séparation, mon esprit est assailli de questions pendant de longues heures. Baska est-il un cas isolé ? Son point de vue serait-il partagé par d’autres étudiants ? Pour le savoir, il me faut interroger d’autres personnes, en particulier les lycéens, afin de déceler si cette idée prédomine déjà chez les plus jeunes, en particulier à l’adolescence. Le lendemain, je pénètre dans le « Kollej Politeknik » d’Oulan-Bator, une sorte de lycée professionnel formant des maçons, des électriciens, des mécaniciens et des techniciens industriels. Fort de 2000 étudiants, c’est l’un des plus gros lycées du pays. Avec un peu de culot et d’audace, j’arrive en à peine 5 minutes dans le bureau de la directrice. Très vite emballée par mon histoire, elle m’installe dans un fauteuil, m’offre une délicieuse part de gâteau ainsi qu’une tasse de thé. Le temps de ma dégustation, elle dévore mon blog, émerveillé par tout ce que j’ai fait. Peu de temps après, arrivent les professeurs d’anglais, je vais passer la matinée avec eux et leurs élèves. Rejoindre la liste de diffusion Au cours des deux jours passés dans le lycée, je rencontre 5 classes et une centaine d’étudiants. Si le niveau en anglais des jeunes Mongols est parfois balbutiant – Touy doit sans aucun doute avoir un meilleur niveau – les professeurs d’anglais n’hésitent pas à jouer les interprètes, créant un véritable échange. C’est souvent la première fois qu’ils conversent avec un étranger, une excellente opportunité pour pratiquer l’anglais. Je profite de ces interactions pour questionner les élèves, m’offrant ainsi un moyen privilégié d’explorer leur culture et de répondre à mes propres interrogations. Parmi les 120 élèves rencontrés, près de la moitié aspire à travailler à l’étranger. Dans la classe des étudiants automobiles, cette proportion atteint 80 %, avec le rêve ultime de travailler dans une usine Mercedes ou BMW en Allemagne. La plupart étudient l’allemand en parallèle de l’anglais. Cela me surprend profondément. La majorité de la jeunesse mongole ambitionne de quitter le pays, sous le regard neutre mais complètement bienveillant du corps enseignant et de la génération supérieure… En guise de reconnaissance pour mes interventions, la directrice m’invite au restaurant et m’offre la possibilité de dormir à l’internat. “Nous avons des chambres disponibles avec les vacances qui arrivent, tu peux y séjourner”, me confie-t-elle. Autour d’une table dans un somptueux restaurant situé au 12e étage d’une des plus grandes tours de la ville, je partage mes constatations avec elle. Peu étonnée, elle m’explique que sa propre fille est partie étudier en Irlande et, depuis qu’elle est tombée sous le charme d’un joli roux, elle y est restée. Les plats se succèdent, tous partageant la même caractéristique : la viande. Bouillon de bœuf en entrée, escalope de poulet en plat principal et hot-dog en dessert ; il semble que les Mongols ne consomment pas de la viande trois fois par jour, mais bien trois fois par repas ! La directrice me pose alors de nombreuses questions, supposant à son tour que je voyageais pour trouver un emploi. À la suite de mes réponses, elle semble stupéfaite, car pour les Mongols, le voyage se résume à travailler à l’étranger, rien d’autre. En soirée, je me rends à l’internat où je tisse des liens avec d’autres étudiants venant des quatre coins du pays. Alagh, âgé de 15 ans, habite à Ulan Gom, à près de 1500 km de là. Il ne rentre chez lui que deux fois par an. Arraché à ses prairies natales, il a quitté la yourte familiale pour se retrouver, à présent, au troisième étage d’une demeure dans une capitale de deux millions d’habitants. Comment ne pas poursuivre sur cette lancée, rêver en grand et viser la lune ? L’évolution sociétale qu’Alagh a traversée récemment me semble bien plus significative que ce qu’il aurait pu expérimenter par un simple changement de métropole. En d’autres termes, passer d’un village mongol isolé, niché au cœur de la steppe, à une ville mondialisée et occidentalisée, même si elle

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Gobi en stop

Abasourdi par les -10°C de la ville d’Aksou, ses avenues interminables et ses tours de béton toujours plus hautes, je cherche péniblement le meilleur endroit pour tendre mon pouce. Ce matin, je suis angoissé comme rarement je l’ai été. Était-ce une bonne idée de revenir ici, à 100 km de la frontière kirghize ? J’ai 4000 km de désert à traverser pour rejoindre Pékin, et mon passeport ne me laisse plus que 10 jours sur le territoire chinois : c’est le début de Pékin Express. Pendant deux heures, j’alterne entre marche et pouce levé pour quitter cette préfecture. Je suis frigorifié, mon pantalon est dur comme du fer et je ne sens plus mes doigts. Heureusement, la grande Odyssée peut débuter grâce à Amar, un travailleur se rendant à Urumqi, à 1000 km plus au Nord. Il m’embarque à un péage où la police chinoise, au fait de mes intentions, s’est mise à arrêter les voitures pour moi, une première ! Fier de son identité ouïghour, Amar me raconte les spécificités de son peuple et les similitudes avec ses voisins Kazakhs et Ouzbeks. Un léger parfum d’Asie centrale flotte sur les steppes chinoises. Je retrouve la même religion, la même gastronomie, les mêmes langues et les mêmes paysages que de l’autre côté de l’Himalaya. Excepté les idéogrammes et les infrastructures, rien n’est vraiment chinois ici. Les bazars, les hadjis, les raisins secs et les théières font leur grand retour. En consultant une carte, tout s’éclaire : je suis à moins de 1000 km de Samarcande ou du Pakistan, mais à plus de 4000 km de Pékin. Je suis bel et bien retourné là où je m’étais arrêté en mai dernier, aux portes de la Chine. En fin de journée, Amar me laisse à une grande aire d’autoroute, contenant restaurant, point de contrôle des forces policières ainsi qu’une myriade de magasins. Je commence alors à demander aux restaurateurs si, en échange d’un repas, je peux étendre mon matelas dans la salle bien au chaud. Après quelques refus, j’obtiens l’accord d’un chef cuistot. J’exulte de soulagement puis, au bout de quelques instants, il me fait signe d’aller rendre visite à un très bon ami à lui, anglophone. Réjoui de pouvoir communiquer et d’expliquer plus en détail ma situation, je le suis. Il me demande néanmoins de prendre mon sac à dos. Quelques 200 mètres plus loin, j’entre avec lui dans un vaste bâtiment, je franchis les différents sas servant à protéger du froid et je tombe nez à nez avec un commissaire de police criant : « Huzhao, huzhao » – passeport, passeport. Les agents chinois m’assaillent de questions, se saisissent de ma précieuse pièce d’identité pendant que le restaurateur file à l’anglaise, quelle guet-apens ! Je me décompose et j’ai bien du mal à comprendre ce qui m’arrive, moi qui étais persuadé d’avoir trouvé un toit me voilà au poste de police…vais-je revivre ce que j’ai connu en Azerbaïdjan ? S’ensuit une heure d’interrogatoire décrétant que je ne peux rester ici. On me recommande de prendre un taxi ou de marcher une dizaine de kilomètres pour rejoindre la ville la plus proche muni d’un hôtel… Déconfit, je commence légèrement à perdre patience ; je cherche simplement un endroit pour étendre mon tapis de sol. De plus, je suis retenu ici sans raison valable, toujours agacé de l’embuscade du cuisinier. Je développe alors mon défi, la notion d’autostop, mon lien avec l’université chinoise tout en relatant que ce matin même les policiers chinois m’avaient trouvé un véhicule. Comme une nouvelle possibilité inenvisagée quelques instants auparavant par la police, ces derniers se mettent alors à arrêter les véhicules. Le premier automobiliste répondant qu’il allait à Tourfan est encerclé puis mis en joug par 4 policiers tandis que l’un filme la scène et l’autre photographie sa plaque. J’embarque à ses côtés mais sous le choc de sa brève arrestation, un poil surjoué, il ne roule plus qu’à 30 km/h sur l’autoroute, il est traumatisé… À 23 heures, devant le seul hôtel acceptant les étrangers à Tourfan, deux voitures de police m’attendent. Le prix est exorbitant. Après avoir refusé une première fois, expliquant que je n’avais jamais demandé à venir ici, le policier me demande combien je suis prêt à payer. Sous pression, l’hôtelier accepte mon offre de 10€, et pour se faire pardonner, l’agent de police m’offre un bon repas chaud. Quelle soirée mouvementée… Le jour suivant, prof de math, conseiller municipal et contremaître me font arriver jusqu’à une insignifiante station-service où partout des camions s’entassent. Et pour cause, la route pour traverser Gobi est fermée. Je reste toute la journée là en attendant l’évolution de la situation. Le personnel m’invite à partager leur repas avec eux tout en m’offrant gâteaux et sodas. J’en profite pour discuter sur leur famille, leur condition de travail, leur passe temps ou leur culture. Heureusement en fin de journée la route est déneigée. Yunus le pompiste explique mon projet aux différents clients et grâce à lui je trouve un camionneur. À 23h nous quittons les lieux, sous les adieux de tous les employés. Li roule continuellement de son levé à 8h jusqu’à minuit. Il s’octroie deux pauses de 40 minutes pour les repas tandis que quelques autres arrêts sont nécessaires pour retirer la glace qui s’accumule sous le camion, faire le plein de CNG ou effectuer les papiers pour passer d’une région chinoise à l’autre. Une main sur son volant, l’autre tenant sa cigarette, il appelle continuellement des amis à lui, le regard imperturbable, fixé sur l’horizon. Désert, steppes et toundra se suivent indéfiniment tandis que ma satisfaction de franchir Gobi grandit à chaque borne kilomètrique. Ensemble, nous parcourons 2600 km, un record ! C’est près de 10 % de tous les kilomètres déjà effectués dans ce voyage. Tous les deux, nous surmontons les galères de la route : panne d’essence, embouteillages, mauvaise direction, déglaçage du camion … Un jour nous restons toute la journée à attendre que la station service ouvre. Le réservoir est vide, le

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Alors peut-être ?

Le 28 novembre 2023, je profité d’une journée de repos pour me rendre à Muang Noi, retrouver Internet, appeler ma famille et me renseigner sur les procédures de visa pour l’Indonésie. Tant de voyageurs rencontrés à la guesthouse de M. Kee m’ont vanté ses merveilles, son dépaysement et la gentillesse de ses habitants. Je trépigne d’impatience à l’idée de tendre le pouce là-bas ! En me connectant sur un forum de voyageurs, regroupant les dernières informations pour obtenir les visas des différents pays, mon regard s’arrête sur un communiqué qui va changer le cours de mon voyage : “À compter du 1er décembre 2023, les ressortissants français seront exemptés de visa pour entrer sur le territoire de la République populaire de Chine, pour une durée de 15 jours”. Je n’en crois pas mes yeux, je relis l’information, je vérifie sur d’autres sites et je rappelle même mon père pour que ce dernier pose directement la question à l’ambassade. Trois minutes plus tard, je reçois son texto : l’information est vraie ! Je n’arrive pas à dormir ce soir-là. La Grande Muraille, Marco Polo, les routes de la soie et la Cité interdite de Pékin me tiennent éveillé toute la nuit. Le lendemain matin, je regarde frénétiquement les sites touristiques, je recontacte mes amis chinois à qui j’avais fait part de mon projet et je ne me lasse pas de contempler la carte du monde, jubilant de l’immense territoire qui vient de se débloquer ! C’est alors qu’une idée folle me traverse l’esprit ; revenir tout à l’ouest, au Xinjiang, là où 7 mois plus tôt mon rêve de relier la France à son antipode s’était brisé ; la Chine avait refusé mon visa et j’avais été contraint de prendre l’avion pour survoler l’Afghanistan et continuer sur les routes indiennes. En analysant la carte de Chine, je prends connaissance d’Aksou, une préfecture locale située à 150 km du lac Alakul, le lac gelé situé à 3600 mètres d’altitude que j’avais atteint en mai dernier. Et si tout redevenait possible ? Ce sentiment de pouvoir recommencer mon projet là où je l’avais arrêté est inqualifiable. Le Laos étant situé à 5000 km du Kirghizistan, un peu moins de 3 jours de train non-stop me permettraient de m’y rendre, de reprendre l’autostop, cette fois-ci en direction de Pékin, à 4000 km de là… À part 150 km à travers l’Himalaya, j’aurais réalisé l’intégralité de la distance ! L’horloge de mes envies les plus folles se remet à tourner ; alors peut-être ? Rejoindre la mailing list Dix jours plus tard : J’ai effleuré sa tête au Kazakhstan, exploré son cou en Inde, ressenti son ventre au Népal, touché ses pieds au Laos, et caressé ses orteils au Vietnam. Aujourd’hui, le dragon chinois m’ouvre ses portes lorsqu’une charmante douanière appose le tampon du 18ème pays de mon voyage, j’ai du mal à y croire, j’y suis ! En effet, depuis 7 mois, je tourne autour de la Chine ; j’ai visité 7 de ses pays limitrophes, de l’Altaï au Pacifique en passant par l’Himalaya. Quelle satisfaction que d’entrer en Chine, apparaissant à mes yeux comme la pièce manquante de mon puzzle de voyage en auto-stop à travers le monde ! Une fois n’est pas coutume, je suis projeté dans un univers n’ayant rien à voir avec tout ce que je connais. Un petit problème apparaît néanmoins, aucune de mes cartes bancaires ne fonctionne. Mettant cela sur le compte de distributeurs hors service, je me lance à corps perdu dans l’autostop, sans un seul yuan en poche. Je trouve facilement plusieurs chauffeurs qui foncent à toute vitesse sur les méga autoroutes chinoises. Ces derniers m’invitent aux restaurants, m’offrent des fruits, des boissons et sont curieux de connaître mon projet. De nombreux préjugés et stéréotypes que je pouvais nourrir sur ce peuple s’évanouissent en une seule journée. Mon problème de carte bancaire persiste ; impossible de retirer ni même d’effectuer le moindre paiement. Ma Visa a fonctionné partout, sauf en Chine où on m’avait refusé mon visa, quelle ironie. Je crée alors un compte sur Alipay, l’application chinoise de référence permettant de payer avec son téléphone, simplement en scannant un QR code. Je relie ce nouveau compte à ma carte bancaire et le tour est joué ! Je peux acheter mon ticket pour Aksou et j’embarque à bord du train, après avoir montré au minimum 10 fois mon passeport. À plus de 120 km/h, je m’émerveille devant la toile mouvante des paysages chinois défilant derrière la fenêtre du train. Les montagnes, jadis couvertes de jungles, laissent place à des vallons, des lopins agricoles, des rivières délicates et des forêts aux mille nuances automnales. Les temples trônent majestueusement au sommet des collines, les jardins s’épanouissent en floraisons variées, les villas se succèdent, et l’opulence devient la norme. Puis, les montagnes persistent, mais la végétation se retire peu à peu. Les métropoles laissent la place aux villes, les villes aux villages, et les villages aux déserts. À mesure que je progresse vers le Nord-Ouest, le mercure s’affole. Perdant en moyenne 1°C par heure, je passe de 30°C à -10°C. Comme unsymbole, la neige que j’avais laissée au Kirghizistan fait son retour. La dégringolade des températures se poursuit au même titre que le niveau de vie. Si lors de ma première journée j’ai été effaré par les aménagements gigantesques, les armadas de grues, les armées de bulldozers, les légions de gratte-ciels, les compagnies de centres commerciaux rivalisant de néons, ou encore aux foules de Chinoises sirotant leur bubble-tea, je ressens désormais l’amère sensation de pénétrer une Chine oubliée. Le gris, voilà tout ce qui en ressort. J’hésite à qualifier les maisons d’abandonnées ou en construction. Les voies rapides délaissées, les couleurs évanescentes, laissent un tableau en demi-teinte. À mesure que je progresse vers l’Ouest, un retour dans le temps s’amorce. Les signes d’une technologie avancée se raréfient. Les maisons en bois bricolées, les cultures vivrières, les poteaux électriques rouillés, les usines désertées et les décharges publiques pullulent. Dans

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1 mois à Huay Bo

“J’ai fait les deux écoles et j’ai tout oublié” -Michel Sardou Pendant un mois, j’ai résidé à Huay Bo, un humble hameau laotien de seulement 200 habitants. Je me réveillais au chant des coqs, je me douchais dans la cascade et je mangeais du riz gluant matin, midi et soir. Dans ce lieu dépourvu de chauffage, d’électricité, d’internet, et même d’eau chaude, je me suis immergé dans la vie locale, partageant le régime alimentaire des villageois. Huay Bo est complétement isolé ; il faut marcher 10 km à travers les rizières, puis naviguer pendant une heure pour atteindre la première “ville” équipée d’une banque, d’un bureau de poste, d’une épicerie, de routes bitumées, etc. Cette expérience exceptionnelle de vivre un mois dans ce village en autarcie totale m’a prodigué d’innombrables enseignements, tant sur la culture, la vie à la campagne que sur moi-même. C’est une série de leçons de vie que je tiens à partager avec vous. Après 9 mois de vadrouille incessante, en quête perpétuelle d’un véhicule, d’un logement, d’un site à visiter ou d’une communication à mener, j’ai enfin eu l’opportunité de me poser. Plus d’inquiétude de savoir où dormir, plus de réflexion sur quoi dîner ou plus d’angoisse sur la faisabilité du stop. Ces 4 semaines m’ont permis de me déconnecter complémentent, bien loin de notre société où chaque minute compte. Ici au Laos le temps est un long fleuve tranquille, il faut se laisser porter plutôt que de ramer corps et âme à contre-courant. Apprécier se réchauffer au coin du feu, souries aux enfants du villages, contempler les paysages, faire la causette avec les touristes de passage, bouquiner dans le hamac de Kee ou simplement ne rien faire, que cela fait du bien de prendre le temps! Ma mission principale a été d’enseigner l’anglais à Touy, le fils du chef de Huay Bo. Âgé de 18 ans, Touy, aux cheveux noirs, aux yeux fins et au sourire constant, ne possédait aucune base en anglais, à l’exception d’un timide “hello”. Comment relever ce défi alors que nous n’avions aucune langue commune, presque aucun matériel pédagogique, et que le jeune homme ne maîtrisait même pas l’alphabet ? Si j’avais l’habitude de donner des cours particuliers de mathématiques ou de physique, cette mission était d’une tout autre nature. J’ai tenté de lui enseigner des mots simples, des formules de présentation et d’autres bases, à l’écrit et à l’oral. Après quelques jours, je me suis rendu compte qu’il ne comprenait pas plus de 10 % de ce que je disais. Particulièrement réservé dans une culture où l’introversion prédomine, il n’osait même pas exprimer son incompréhension. Face à cette impasse, j’ai partagé mon problème avec quelques voyageurs de passage, qui m’ont soufflé une idée brillante susceptible de dénouer la situation. Le lendemain, j’ai radicalement changé ma méthode pédagogique. Fini la grammaire et l’apprentissage intensif du vocabulaire. Nous avons rangé les stylos et sommes sortis marcher dans le village. J’ai commencé à expliquer à Touy le nom des objets en utilisant une approche concrète, posant des questions basiques vues en cours. Touy a commencé à répondre, à parler, puis à poser des questions à son tour : notre première conversation était née ! De jour en jour, nos échanges se sont enrichis, si bien qu’après quatre semaines, Touy était capable de converser avec des étrangers, de présenter son village, ses passions, d’évoquer sa scolarité et la culture laotienne. Cette expérience d’enseignement a été enrichissante à de nombreux égards : sur le plan des techniques d’apprentissage, de la relation unique avec une personne, mais surtout sur la satisfaction d’enseigner une langue à quelqu’un pour communiquer avec lui. Au fil des jours et des semaines, j’ai découvert un autre Touy, plus joyeux, taquin et ouvert sur son avenir. À ses côtés, j’ai appris les subtilités de la culture laotienne, les rudiments de la langue laotienne, les défis de son éducation difficile – à l’âge de 11 ans, il parcourait 15 km par jour pour aller à l’école – ainsi que les secrets du village et de ses environs. Les soirées autour du feu sont propices aux échanges avec le chef, M. Kee. Il me dévoile les intrications du village, détaille ses obligations en tant que chef, comment les Coréens acquièrent des terres dans le village voisin, comment les Chinois étendent leur emprise dans un autre district, comment un Suédois a trouvé l’amour auprès d’une Laotienne, et comment il envisage l’avenir de son fils. Kee est conscient des aspirations de Touy qui rêve de quitter le village ; vivre pleinement sa jeunesse en ville, rencontrer des gens, et ne pas avoir à marcher une heure pour accéder à internet, bref, mener une vie normale comme les autres jeunes de son âge La situation est paradoxale, car le chef a lui-même connu cette envie de partir, regrettant que son père l’ait choisi, parmi ses sept frères et sœurs, pour rester à Huay Bo et prendre en charge les terres familiales. Pourquoi imposer cela à son propre fils ? Kee a grandi et a réalisé que la vie en ville n’est pas l’idylle qu’il imaginait à l’âge de son fils. “Quand j’ai faim, je prends mon filet et je vais à la rivière. Quand j’ai froid, je vais couper du bois dans la forêt. La nature nous offre tout, gratuitement en plus ! Pourquoi irais-je en ville ?” m’explique-t-il. “Mon frère, lui, voulait partir en ville. Maintenant, il est chauffeur de tuktuk à Vientiane, mais il a du mal à joindre les deux bouts. Je pense que j’ai une vie meilleure ici, à accueillir des touristes et à prendre soin de mes terres, que de vivre dans l’incertitude et le stress comme le fait mon frère. Je veux simplement la même chose pour mon fils, la meilleure vie possible.” Quelle leçon ! Contrairement à ce que je croyais, le père cherche le bien-être de son fils, convaincu à 200 % que la vie est meilleure et plus facile ici qu’en ville, contrairement à ce que souhaite son

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Mariage Lao

“On est là pour boire un coupOn est là pour faire les fousEt pour se reboire un coupEt pas payer nos verres” -Michel Sardou Aujourd’hui, un mariage se déroule à Huay Bo. Quelle joie d’assister à un tel événement pendant mon séjour, merveilleux reflet de la culture et de la société laotienne ! Les convives affluent des bourgs environnants et même de la capitale ; le petit village au milieu des montagnes est plus que jamais bouillonnant de vie ce jeudi-là. Le mariage débute en plein milieu de la nuit, au moment où les cris du cochon agonisant réveillent les derniers dormeurs. En sortant précipitamment de mon cabanon, je constate que tout le monde est déjà à pied d’œuvre : découpe de viande, mijotage des ragoûts, épluchage des légumes, mise en place des tables, installation du chapiteau, câblage électrique, distillation de l’alcool de riz – le fameux lao lao – et préparation des épices. Le soleil n’est pas encore levé que les hommes goûtent déjà leur distillat, à près de 50 %, pour s’assurer de sa bonne qualité… En faisant des allers-retours dans la demeure de Kee, qui fait également office de mairie, je tombe sur un document crucial : l’acte de mariage. Bien qu’il soit rédigé en laotien, un chiffre exorbitant attire mon attention, c’est la dot de la future mariée, s’élevant à 35 millions de Kips, soit 1800 euros. Je reste bouche bée pendant quelques instants. Cela représente 50 fois le salaire moyen du pays. Je n’ose même pas imaginer la fortune que cela représente pour ces habitants du bout du monde, vivant en quasi-autarcie. C’est peut-être le prix de leur maison ? Doivent-ils emprunter ? Pour combien de temps ? Un tas de questions fourmillent dans ma tête sans vraiment trouver de réponses. La seule certitude est que le mariage de leur fille constitue l’investissement de sa vie entière… En milieu de matinée, les proches se retrouvent à la maison de la mariée pour célébrer la cérémonie religieuse. Dans une pièce sombre, quelques futons et tapis sont disposés sur le sol pour accueillir les invités. Assis sur ses genoux, un prêtre récite des chants liturgiques, allume des bougies et parfume la salle d’encens ; que des similitudes avec nos propres traditions ! Pour officialiser le mariage, une cordelette blanche est nouée entre les deux époux, un beau geste symbolique représentant leur union pour toute la vie. Les membres de la famille font de même, car au-delà de choisir une personne, on épouse également une famille. Pendant tout ce temps, les convives n’hésitent pas à manger ou à boire, même de l’alcool ! Une fois la cérémonie religieuse terminée, nous sortons tous en direction des tables pour déjeuner ; il est 11 heures. La mariée en profite pour s’éclipser discrètement. Elle revient vêtue d’une tenue bien plus légère, laissant entrevoir un joli ventre arrondi. Aussitôt l’union proclamée, elle ne cache plus sa grossesse ! Cette heureuse nouvelle révèle cependant une triste réalité et me laisse avec un goût amer : tous les mariages auxquels j’ai assisté depuis mon départ sont organisés en hâte pour éviter une naissance hors mariage. Selon les normes de toutes les religions du monde, cela semble être l’une des pires choses qui puisse arriver à une femme… Ces unions, où l’écart d’âge est colossal – 31 et 20 ans aujourd’hui – et où la jeune femme semble épouser davantage une famille qu’un mari, me bouleversent et me laissent avec une grande tristesse Pourquoi en arriver là ? Nos sociétés occidentales ont peut-être le défaut de désacraliser le couple et la famille, mais elles accordent tellement plus de libertés des mœurs. Malheureusement, ce concept semble encore trop étranger à de nombreux hommes sur notre planète, écrasés par des dogmes et des traditions. Comme au cours de mon séjour en Ouzbékistan, la jeune femme tombe enceinte du premier homme qu’elle rencontre et se retrouve aussitôt prisonnière d’une vie de femme au foyer pour le restant de ses jours. Pour le repas de mariage, j’ai le privilège de partager la table des mariés avec Kee, les personnes venues de Vientiane et deux touristes australiens. Nous dégustons du riz gluant, de la soupe de melon d’hiver et une salade de légumes agrémentée de peau de cochon, le fameux laap. Suite à la mise à mort de l’animal, toute la viande et tout ce qui pouvait être mis en valeur sont vendus ; modeste moyen de compenser les frais de l’événement. Les convives commencent à ripailler, à chanter et à s’amuser dans l’allégresse générale. La musique est tantôt américaine, tantôt traditionnelle. Le son est généré par une enceinte câblée à ni plus ni moins que le tracteur, servant d’appoint électrique. Soudainement les basses changent, c’est l’ouverture de bal. Je ne manque pas d’acclamer les mariés qui s’offrent la première danse, que la fête commence ! Enfin pas pour tout le monde. Si certains Laotiens ne sont plus en état de faire grand-chose, victimes d’une surconsommation d’éthanol, une vingtaine de villageois, non invités, nous observent en silence, à une trentaine de mètres de là. Je suis une nouvelle fois éberlué, que dire, désemparé. Contrairement à ce qu’affirmait M. Kee, tout le monde ne fait pas la fête aujourd’hui. Bien loin de la communion de tout le village, les différences s’exacerbent davantage qu’à l’accoutumé en cette journée si particulière. Il y a ceux qui sont invités car et ceux qui ne le sont pas… quelle déchirante réalité. Les inégalités au sein de cette micro-société sont gargantuesques. Mais qui l’aurait cru ? Moi qui m’attendais à arriver dans un hameau autonome où chacun s’entraide, je dois avouer que je me suis trompé sur toute la ligne. La hiérarchie est très présente et Huay Bo semble être aux antipodes de la société indépendante et égalitariste que je croyais trouver. Bien loin de l’utopie des communautés hippies, ce village lao ressemble davantage à une société médiévale, avec ses seigneurs, ses serfs et ses gueux… La vie est en effet bien rude à Huay

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Ode à la nature

Les premiers jours de mon volontariat dans le village de Monsieur Kee sont passionnants. Touy, le fils de Kee à qui j’enseigne la langue de Shakespeare en échange du gîte et du couvert, s’améliore rapidement. A un rythme de 4 heures de cours par jour ses progrés sont très impressionnants et le stimulent énormément. J’ai bon espoir que dans 1 mois il pourra converser ! L’utilisation d’un dictionnaire Anglais-Lao découvert dans un grenier du hameau me permet de lui faire apprende du vocabulaire et de la grammaire, même si je dois reprendre les bases ; à commencer par l’alphabet latin qu’il ne connaît pas. Je saisi alors l’occasion d’apprendre le lao en même temps qu’il apprend l’anglais, un excellent moyen de m’immerger complétement à Huay Bo. Quelques mots de langue locale me permettent ainsi de briser la glace avec les petits et les plus grands. En restant au village plus d’une nuit, contrairement à la plupart des touristes de passage, je deviens familier pour les villageois qui me saluent lorsqu’ils me reconnaissent. Désormais, les enfants veulent jouer avec moi, et les adultes sont ravis de me faire découvrir leur artisanat et leur quotidien. Je n’hésites d’ailleurs pas à partir avec eux en dehors du village, une fois les leçons sont terminés. Que ce soit la cueillette, la chasse, la pêche, l’élevage, la coupe ou le commerce, les habitants de Huay Bo s’investissent dans de nombreuses tâches maintenant que la récolte est terminée. Outre la découverte peu à peu de ces activités, j’explore de la même façon les environs et je réalise à quel point la faune et la flaure du Laos sont riches et variées. Jamais je n’avais contemplé une nature aussi rayonnante ! Des centaines d’espèces de végétaux et d’animaux peuplent les aentours de Huay Bo. Au sein du village, une animation constante règne parmi les poules, les faisans, les chiens, les chats et les canards. Les coqs s’affrontent, les chiens poursuivent les canards, les poussins suivent en file indienne, et les chats observent la scène. Dans les rizières en jachère, les troupeaux de buffles paissent tandis que les sauterelles, criquets et grenouilles bondissent à chacun de mes pas. Autour de chaque mare, des dizaines de libellules, papillons, moustiques et mouches offrent un ballet somptueux. J’observe également les dytiques, ces fameux insectes marchant sur l’eau. Dans la jungle, araignées, mille-pattes, oiseaux et bien d’autres créatures me tiennent compagnie. Partout, je suis entouré de centaines de spécimens d’insectes, de plantes et d’animaux, qui constituent désormais mon quotidien. Au fil de mes ballades et de mes échanges, je réalise à quel point les lao respectent la nature. A Huay Bo, chacun se sent connectés avec cette entité qui prodigue le poisson du repas, le bois pour se réchauffer le soir, le riz pour subsister ou encore l’eau, tellement précieuse à la vie. Tous les villageois en sont dépendant pour leur propre survie ; un principe que l’homme moderne a tendance à oublier. Ici il n’y a rien de chimique ou d’industriel, si ce n’est le pauvre moticulteur. Les espèces sont préservés de toutes nuisances et proliférent en pleine liberté dans leur ecosystème. Sans tous ces produits toxiques, la faune et la flore rayonnent ! Qu’il est beau de revenir aux sources et d’admirer dame nature dans toute sa splendeur. En tant que défenseur de la cause écologique, le constat de l’abondance des populations d’insectes et d’animaux, loin de toute utilisation de pesticides, d’engrais et autres, m’interpelle et m’émeut grandement. En grandissant en France, j’avais pris pour acquis ce que j’observais en me promenant le long de la Moselle ou en forêt. Mon voyage ici me fait réaliser que j’avais eu tort. Notre faune est sous-peuplée, et le constater de mes propres yeux donne un sens infiniment plus profond aux statistiques que l’on peut trouver dans les médias. Vivre un mois à Huay Bo me donne l’opportunité de renouer avec la nature à mon tour. J’apprends à l’apprécier davantage, à la découvrir plus intensément, et surtout à la comprendre de mieux en mieux. Le cycle fascinant de la vie, des espèces et de l’harmonie qui règne sur notre planète m’émerveille et me dévoile chaque jour un peu plus de ses mystères. En cela, l’admiration ne serait-elle pas un premier pas vers la contemplation, et donc, le respect ? Peut-être que si chacun d’entre nous s’émerveillait devant les beautés naturelles de notre monde, bon nombre des problèmes liés au changement climatique que nous rencontrons aujourd’hui n’existeraient pas. Contempler un lever de soleil, se réchauffer au coin du feu, observer la voie lactée dépourvue de toute pollution atmosphérique, ou encore s’immerger des heures durant dans un paysage vibrant de vie font désormais partie intégrante de mon quotidien, source quel bonheur ! De ce fait, de plus en plus de mes activités sont orientées vers la nature. Bien que, pendant mes voyages, j’aie souvent privilégié les rencontres humaines, je réalise que la nature ne se résume pas à quelques randonnées ou à des points de vue spectaculaires. Elle est omniprésente, à tout moment. Je l’entends et la ressent chauqe jour de plus en plus. C’est peut être trivial, mais j’ai le sentiment qu’il aura fallu que je vienne jusqu’ici, dans cet endroit le plus éloigné et dénué de technologie que je n’aie jamais vu, pour véritablement savourer les merveilles qu’elle offre.

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Les Vietnamiens

Si certains pays m’ont profondément marqué par leur riche héritage culturel, leur cuisine exquise ou leurs paysages à couper le souffle, le Vietnam quant à lui, m’a immédiatement saisi par l’âme bouillonnante de son peuple. Spontanéité, ruse et une énergie indomptable décrivent ce peuple extraordinaire, enveloppé dans une aura énigmatique. Pourtant, la mise en garde récurrente contre les “viets” de mes amis ne tarde pas à se manifester. À peine arrivé à Dien Bien Phu, je commande une innocente noix de coco pour me rafraîchir. J’ai descendu les montagnes et la chaleur au fond de la cuvette est accablante. Des enfants armés de leurs épées en bambou m’interrompent sans cesse mais le problème commence au moment de régler l’addition. La vendeuse refuse catégoriquement de me rendre la monnaie, malgré notre accord préalable sur le prix. J’insiste pour obtenir ce qui m’est dû, en vain. La vendeuse de noix de coco hausse le ton, s’agite, pour ne pas dire qu’elle devient hystérique. Un petit attroupement de curieux et de badauds se forme même autour de nous. Je dois alors prendre mon billet de force dans le tiroir de sa petite échoppe, faire de la monnaie grâce à un passant, avant de filer, abasourdi, sous les huées et les aboiements de cette vietnamienne en colère… La manière de communiquer dans ce pays m’est étrangère, un véritable mystère à élucider. Ça tombe bien, mon pouce droit commençait à s’ennuyer. Il faut dire que depuis l’Inde, je lui préférerais son cousin, plus compatible au sens de circulation. Dans leurs voitures, leurs marchés, leurs rues, leurs restaurants et leurs maisons, je progresse peu à peu dans ma compréhension de ce peuple vietnamien. Je réalise que, même entre eux, la politesse n’est pas toujours de mise, du moins pas telle que nous la concevons dans l’Hexagone. Les klaxons incessants, les hurlements et les échanges animés pour signifier un désaccord sont monnaie courante. Ce n’est pas choquant, c’est simplement leur mode de communication, ancré dans leur culture. Au Laos, lorsque j’engageais la conversation avec des enfants, ces derniers prenaient la fuite, se cachant ou se blottant dans les bras de leurs parents. Ici au Vietnam, les enfants sont bien différents. Ils font le premier pas et s’approchent de moi spontanément. Les garçons s’amusent à jouer aux soldats, à mimer des célébrations footballistiques, ou à tendre la main pour un “check”. Quant aux filles, elles me proposent volontiers des raquettes de badminton (un sport extrêmement populaire ici) et elles entament la conversation. En traversant simplement un col, j’ai été témoin d’une métamorphose de l’interaction entre les individus, passant des rencontres les plus introverties aux interactions les plus extraverties de tout mon voyage. Les adultes, à bien des égards, reflètent le comportement de leurs progénitures, que ce soit en bien ou en mal. Lorsque j’attends au bord des routes ou que je me promène dans les petits villages, je suis régulièrement invité à partager un repas. Généralement, une petite dizaine de Vietnamiens sont attablés. Ils me bombardent de questions, picorent directement dans les plats, et ne cessent de remplir mon bol. Tous les convives souhaitent trinquer avec moi et ne manquent jamais de remplir mon verre à ras bord. Ici, l’alcool de riz de production plus ou moins artisanale est la boisson de prédilection. L’autostop n’est pas un souci non plus. La situation économique des vietnamiens est moins précaire que celle des laotiens, et leur curiosité les incite souvent à s’arrêter pour me prendre. Même si le concept ne semble pas aussi répandu, leur naturel beaucoup moins timide les pousse à m’embarquer. La plupart sont curieux et veulent savoir ce que fait un étranger ici avec un grand sac à dos. Notre trajet est parsemé de pauses café, de haltes pour admirer le paysage ou simplement pour fumer une cigarette. Il faut en revanche bien clarifier la situation avant de monter à bord, beaucoup s’improvisant taxi d’un jour… Il y a toutefois des moments où la nonchalance et le manque de débrouillardise des vietnamiens me laissent perplexe. Par exemple, lorsque j’essaie de communiquer avec le personnel des restaurants ou des hébergements, il semble qu’ils ne m’écoutent pas, qu’ils ne prêtent aucune attention et surtout, qu’ils ne font aucun effort pour me comprendre. Dans un hôtel en particulier, il a fallu 10 minutes de conversation pour que mes interlocuteurs comprennent que je cherchais une chambre. Un record ! On aurait dit qu’ils pensaient que je venais ici pour acheter un vase… Parfois, les vietnamiens ne m’écoutent même pas et attendent que j’aie terminé ma phrase pour me tendre leur téléphone avec Google Traduction. Cela est quelque peu désagréable, provoquant bien souvent la sensation d’être oublié. Moi qui en Inde étais le centre de toute l’attention, ici je suis presque ignoré ! Par moments, j’ai du mal à m’empêcher de penser que les vietnamiens agissent encore comme des combattants. Se demandent-ils si je suis un nouvel ennemi, le touriste descendant des “impérialistes” français ou américains ? Les guerres incessantes pour l’indépendance auraient-elles profondément altéré le caractère et le comportement des vietnamiens ? Cette interrogation ne cesse de me hanter… Les musées et autres sites dédiés à la mémoire militaire ne manquent pas de rappeler la lutte acharnée des vietnamiens à travers l’histoire pour leur indépendance. Chinois, mongols, espagnols, français, japonais, britanniques et américains se sont tous invités un jour ou l’autre au Vietnam pour en découdre. Cette culture martiale se reflète souvent dans les fresques des villages, les drapeaux qui flottent devant les écoles, les mini-chars téléguidés qui foncent vers moi dans la rue, et bien d’autres manifestations de l’héroïsme au combat. Il semble que rarement un pays ait été autant marqué par la guerre que le Vietnam. Pour la première fois de mon voyage, la mentalité et le comportement des individus ne semblent pas être principalement influencés par la religion. Le Vietnam est un pays communiste, et le confucianisme ou le bouddhisme ne semblent pas aussi profondément enracinés dans les esprits que dans les autres pays d’Asie du Sud-Est.

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Le bout du monde

C’est au détour d’une ruelle de Luang Prabang que j’entre dans le TEAC, le musée consacré aux ethnies du Laos. Je découvre stupéfait que le Nord du pays regorge de communautés animistes, vivant en autarcie parlant leur propre langue et semblant oubliées du reste du monde ! Il n’en fallait pas plus pour piquer ma curiosité et tendre mon pouce pour aller explorer ces régions parmi les plus méconnues de notre planète. Malheureusement, un problème d’un nouveau genre apparaît : le concept même de l’auto-stop semble inconnu au Laos, voire inconcevable pour les habitants. Il n’existe même pas de mot dans leur langue pour décrire cette pratique ! Dans un pays où le tiers de la population vit du tourisme, se déplacer gratuitement à l’arrière d’une camionnette ou d’une voiture suscite des regards perplexes. Les minutes d’attente se transforment en des heures interminables au bord des routes laotiennes… Comment me faire comprendre dans cette situation ? Aux abords des grandes villes, les stations-service font l’affaire. Je peux échanger et utiliser mon téléphone pour traduire et transmettre mon intention. Dans les zones reculés, seules des pancartes glanées dans les commerces avec le nom de mes destinations seront mon salut. Même si l’attente s’allonge, je patiente dans des villages où je m’amuse avec les enfants. Sourires, grimaces, accolades, check… tout est permis pour faire rire les plus petits ! Au moindre véhicule qui s’arrête, je négocie une place dans la benne, souvent accepté. Être à l’extérieur est le meilleur moyen de profiter des paysages grandioses que m’offre le Laos, sans doute parmi les plus impressionnants de ce tour du monde. J’arrive aussi plusieurs fois à trouver refuge dans les restaurants où je peux étendre mon matelas, recharger mon téléphone et profiter des toilettes. Inviter quelqu’un chez soi pour dormir ne semble pas être inscrit dans la culture laotienne. Même si ces derniers m’invitent parfois à manger chez eux, cela se limite au repas et pour un temps assez bref. Ces derniers restants assez timides. L’avantage du restaurant, c’est que je suis dans un lieu « intermédiaire » : je n’empiète pas dans la sphère privée des gens tout en jouissant de commodités et d’une sécurité appréciable. Après 2 jours de stop intensif, j’embarque enfin sur une pirogue motorisée à l’embarcadère de Nong Khiaw. Nous sommes 10 par bateau, mélange de locaux et de routards, prêts à découvrir le bout du monde ! Les Laotiens reviennent avec des sacs de provisions, des motos et même un frigo ! Installer pareil objet sur une embarcation flottante et instable ne semble pas une mission bien compliquée pour les gens d’ici. Les quelques heures de navigation me plongent dans un décor encore plus fascinant. En remontant la rivière, nous longeons d’imposantes montagnes recouvertes d’une jungle dense et impénétrable. Des paysages enchanteurs digne de Jurassic park ou King Kong se succèdent sans fin. De temps à autre, on aperçoit quelques habitations, toutes en bois et montées sur pilotis. Ces villages déconnectés de tout me donnent le frisson d’être le nouveau Marco Polo ou Christophe Colomb de ce siècle. Les enfants se baignent complètement nus, acclamant notre pirogue, une rare attraction qui ne se produit qu’une ou deux fois par jour. J’observe avec émerveillement les villageois pêchant, coupant du bois et utilisant notre pirogue pour transporter des marchandises – comme nous le ferions avec Amazon ! Le lendemain, j’entame ma marche pour me rendre dans un village tribal. Mon choix s’est porté sur celui de Huay Bo, dont le chef, un dénommé monsieur Kee, tient une guesthouse. Je quitte rapidement la piste pour serpenter à travers les rizières. Elles sont splendides en cette saison : mélange de jaune, d’or et de vert. Toutes ces nuances colorées donnent à ce lieu une touche de paradis. Les montagnes escarpées, les pitons rocheux et les falaises accompagnent le spectacle. De plus, c’est le moment de la récolte. Les fermiers récupèrent le riz pour mon plus grand plaisir. J’ai soudain le flash-back d’il y a 4 mois, jour pour jour ; je commençais ma marche du sel et j’observais les Indiens planter le riz, aujourd’hui on le récolte. Après des traversées de petites rivières, après avoir demandé moult indications aux locaux pour ma route, après avoir marché pendant 15 kilomètres à travers piste, rizière et sentier de randonnée, j’arrive à Huay Bo. Il y a là une quarantaine de maisons, tout au plus. Les femmes tissent du fil et épluchent des légumes tandis que les hommes reviennent des champs ou arrangent leurs filets de pêche. Les adolescents ramassent du bois, réparent des fils électriques, s’attachent à construire de nouvelles habitations, bref, tout le monde travaille à Hauy Bo. Je suis vite repéré par la femme de Kee qui m’introduit à ce mystique chef de village. Imposant, charismatique et d’un naturel plus qu’extraverti, il me met rapidement à l’aise, comme si on se connaissait depuis toujours. Il est aussi le premier Laotien bilingue que je rencontre, un point non négligeable. Il me présente les environs ; cascade, rizière, ruisseau, collines, tout en se dévoilant un peu plus… En tant que chef du village – élu tous les 5 ans par tous les adultes – il incarne l’autorité du Laos dans le hameau. Il résout les conflits, célébre les mariages et rend des comptes aux autorités du pays. Son père, chef du village avant lui, lui a légué de nombreuses terres qu’il fait fructifier grâce au travail des habitants. En effet, certaines personnes travaillent sa terre et Monsieur Kee récupère 50 % de la récolte, tel un seigneur médiéval régnant sur son domaine. Il habite dans la seule maison en brique du village – le reste des villageois vivant dans des demeures en bois -, il fait construire le lieu du culte du coin sur son terrain, possède un panneau solaire… Sacré personnage ! À la tombée de la nuit, la bourgade s’endort doucement. Les hommes rentrent des champs, les femmes commencent à allumer des feux pour s’éclairer et cuisiner tandis que les plus

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