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Un PVT à Sydney

Après un séjour enchanteur sur le bateau de Bronte, je me remets en route avec un nouvel objectif : Sydney, à 1200 km d’ici. Si la distance n’est pas insurmontable, contrairement aux grandes étendues du bush, le réseau urbain rend l’autostop plus compliqué. Le temps où les conducteurs se dirigeaient spontanément vers des villages distants de 1000 km est révolus, sur les routes du Riverland l’autostop semble inconcevable pour les habitants. Aucun australien ne daigne s’arrêter et je dois mon salut à quelques immigrés asiatiques qui passent de temps à autre. Je crois qu’en deux jours, j’ai accumulé plus d’heures d’attente qu’en quatre mois passés au pays de Gandhi. Il me faut cinq jours pour atteindre le célèbre opéra. Cinq jours de camping en plein air, de repas composés de hot dogs achetés dans les stations-service ou de conserves provenant du supermarché, de recharges de téléphone dans les toilettes publiques et de réchauffement au coin du feu. Cinq jours de retour à la nature qui me font d’autant plus apprécier chaque véhicule qui s’arrête. J’engage alors des conversations passionnantes avec mes conducteurs et je ne manque pas d’exploser de joie lorsque Karl, un charpentier suisse, me dépose au pied du mythique Opéra. À Sydney, je prends rapidement mes quartiers dans une auberge de jeunesse où je sympathiser avec de nombreux Européens. Le permis vacances-travail, alias PVT, offre une opportunité alléchante aux jeunes du monde entier : travailler en Australie pendant un an tout en explorant le pays. Cette perspective attire chaque année des dizaines de milliers de Français vers l’Australie, qualifiée de nouvel Eldorado du XXIe siècle. Ces jeunes partent emplis d’espoir, nourrissant le rêve de salaires deux à trois fois plus élevés qu’en métropole, associés à un coût de la vie plus abordable. Mais la réalité est-elle à la hauteur de leurs attentes ? Qu’en est-il dans les faits ? Les auberges de jeunesse de Sydney regorgent d’Européens ayant tous le même objectif : amasser autant d’argent que possible pour financer des road trips, des voyages autour du monde, ou simplement rentrer chez eux avec un pécule conséquent. Une fois sur place, beaucoup se heurtent à la dure réalité : difficultés à trouver un emploi, salaires peu attractifs et tâches peu gratifiantes. Si quelques chanceux parviennent à décrocher le jackpot, la plupart se retrouvent à faire des livraisons Uber Eats faute de mieux. Une situation enviable ? Pour la majorité des européens que je rencontre à Sydney, obtenir le salaire minimum australien s’avère mission impossible. Pédaler des heures sous la pluie ou le vent pour une paye à peine supérieur au SMIC français constitue alors le triste quotidien pour beaucoup. Les emplois dans les fermes, cafés et usines ne sont guère plus attrayants. L’employeur peut décider le matin même de ne pas faire travailler ses salariés et ainsi de ne pas les rémunérer : la flexibilité totale du marché du travail ne garantit aucun droit aux travailleurs. Il est à noter que les patrons ne sont aucunement responsables en cas d’accident du travail, laissant les employés seuls pour se procurer une assurance. De plus, les contrats peuvent être rompus du jour au lendemain et beaucoup de jobs ne sont pas payés à l’heure mais à la tâche, notamment ceux qui travaillent dans les fermes et qui sont payés au kilo de fruits récoltés. Les fermiers préfèrent souvent embaucher des Chinois ou des Indiens, perçus comme plus dociles et moins exigeants en termes de salaire et de conditions de travail. Cette réalité laisse de nombreux Espagnols, Italiens, Français et Allemands sur le carreaux, ironique version de l’économie mondiale de 2024. En changeant d’auberge et par le fruit du hasard, je réussis néanmoins à trouver des personnes plus « chanceuses ». Plus enclines à adopter la mentalité anglo-saxonne et à apprécier la flexibilité imbattable du marché du travail, ils parviennent un dégager un revenu plus qu’intéressant. François par exemple travaille 50 heures par semaine et arrive à économiser 4000€ par mois. « Je reste ici 1 an et après je pars faire le tour du monde. Avec 50 000€ je vais pouvoir voyager des années et des années ! ». Se conformer à ces exigences requiert une grande capacité d’adaptation, ce qui n’est pas toujours le cas de bon nombres de français qui débarquent ici après avoir terminé leur études et n’ayant jamais éprouvé les difficultés de l’emploi. En voyageant, je réalise la chance que nous avons chez nous. Bien que les salaires puissent être plus attrayants en Australie en raison de charges et d’impôts moindres, le système, calqué sur celui des États-Unis, laisse de nombreux citoyens en difficulté, faute de solidarité nationale : frais universitaires exorbitants, absence de soins de santé gratuits, protection du travailleur limitée, retraite à 68 ans et absence d’assurance chômage. Sur les sièges passagers, j’ai enchaîné les conversations à propos de la vie en Australie, mettant en lumières les similitudes mais aussi les différences avec la vie en France. Le système social français, généreux et bienveillant, impressionne les Australiens qui, pour certains, seraient prêts à avoir un salaire deux fois inférieur en échange de toutes les prestations incluses lorsqu’on réside en France. « Je suis maçon, travailler dehors par 40°C ou sous la pluie jusqu’à 68 ans, c’est de la folie. Si je m’arrête avant, le gouvernement ne me donnera rien, je ne sais pas trop quoi faire », me confie Ben, pourtant au volant d’une superbe Mercedes. « J’ai perdu un doigt dans une machine agricole lors de mon travail à la ferme. Non seulement je n’ai pas été indemnisé, mais en plus ce fut à moi d’avancer les frais de santé. Mon patron a fait comme s’il ne me connaissait pas », m’explique Romain, jeune baroudeur français en permis vacances travail, me montrant sa main. « Je dois cumuler plusieurs travaux pour payer mon loyer de 400€ par semaine. Il n’est pas rare que je fasse 60 ou 70 heures mais je suis exténué, j’ai hâte de rentrer en Chine », me dit Hu. « Mes

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Les deux Australie

Jamais cinquante minutes d’avion ne m’avaient fait changer de monde à ce point. Malgré la proximité géographique entre Dili et Darwin – à peine 600 kilomètres -, ces deux villes incarnent des extrêmes opposés. D’un côté, Dili, une des villes les plus démunies d’Asie, où la lutte pour la survie est quotidienne. De l’autre, Darwin, une métropole prospère où le capitalisme règne en maître. Le trajet m’a transporté d’un univers à un autre, d’une réalité à une autre. Les hordes d’âmes qui erraient et grouillaient à chaque coin de rue ne sont plus, ici seuls les voitures sillonnent Darwin : personne ne marche si ce n’est moi, la ville est déserte. Les gens semblent aussi affreusement pressés, ils vont tous à un lieu bien précis dans leur véhicule démesurément indécent et la magie de l’imprévu semble avoir disparu, la spontanéité est reléguée à un lointain souvenir. Personne ne daigne répondre à mes salutations, tout le monde me toise et pour la première fois depuis mon départ d’Europe, je ressens de l’indifférence à mon égard. Ici je semble gêné les gens, comme si je venais perturbé l’ordre établi, l’imprévu n’a pas sa place. Dans les quartiers de Darwin, je ne croise que des structures imposantes, des enseignes lumineuses, d’immenses parkings et des édifices en béton, dénués de toute vie. Tout semble être ordonné, planifié et mesuré. La ville est conçue pour l’usage automobile, et le centre-ville semble être pensé pour maximiser la consommation plutôt que toute autre chose. À cet égard, les chiffres font leur grand retour ; que ce soit les prix, les adresses, la publicité ou les horaires, ils sont omniprésents ! Ils sont véritablement le socle de cette société où chaque déplacement a pour but principal de consommer : nourriture, achats, services ou biens, les nombres sont nécessaires pour régir tout cela. Tout comme dans les mégalopoles chinoises, dépenser de l’argent est la principale préoccupation des Australiens. Le temps semble bien loin où, dans le pays de Toraja, les déplacements avaient pour but d’assister à des événements festifs ou familiales… Ce retour dans le monde occidental suscite en moi un sentiment d’amertume. Je ne sais pas si c’est Darwin qui m’exaspère, l’Australie ou simplement le retour en Occident… Combien de fois par jour on m’arrêtait dans la rue pour me proposer de partager un café auparavant ? Ici ce n’est plus à l’ordre du jour… Serait-ce le cas dans les autres villes ? Arriverai-je à nouer de vrais liens avec les australiens ? Alors que je bivouaque près de l’aéroport, incapable de nouer le moindre contact avec les habitants, je me demande ce soir dans ma tente ce que je fais là et qui je vais rencontrer demain dans ce pays où tout semble être réglé comme du papier à musique… Le lendemain matin, une appréhension tenace me noue l’estomac alors que je dépose mon sac à dos à mes pieds et lève le pouce. Qui s’arrêtera donc dans ce pays ? Les premières voitures se succèdent, les conducteurs fuient mon regard et ce sentiment d’indifférence persiste. Pourtant, à ma plus grande stupéfaction, 10 minutes le pouce levé me suffisent à faire arrêter un véhicule. Jake, chasseur de crocodile, m’embarque sur 200 kilomètres. Il s’ennuie aujourd’hui et se rend à son pub favori. Siphonnant bière après bière, coude par la fenêtre et rigolant à chacune de ses phrases, il contient à lui seul tous les stéréotypes que je pouvais nourrir sur le pays. À bord de son 4×4 tapissé d’autocollants en tous genres, je m’imprègne de ses récits de chasse, bien que son accent épais rende certains détails difficiles à saisir. Malgré tout, une vague de bonheur m’envahit. Je sens que l’autostop est possible, mes doutes peuvent s’effacer, mes appréhensions initiales sur l’Australie s’estompent peu à peu, laissant place à un soulagement rarement éprouvé… Rejoindre la liste de diffusion La traversée de la Stuart Highway restera à jamais gravée dans les annales de mes aventures en autostop. Cette route légendaire, qui traverse l’Australie du Nord au Sud, parcourt l’immensité d’un des déserts les plus vastes du globe, me procure une satisfaction inégalée. Qu’il est grisant de parcourir des centaines de kilomètres sans croiser âme qui vive, juste avec un pouce levé. Ce sentiment est indescriptible. Le bush australien, avec ses vastes étendues horizontales, ses broussailles, ses hautes herbes et ses déserts de roches rouges, offre un spectacle saisissant qui défile sur 3000 kilomètres. Sur cette route rectiligne, sans virages ni dénivelés, je peux contempler une faune et une flore d’une beauté exotique, loin de tout ce que j’ai eu la chance de découvrir jusqu’à présent. Kangourous, émeus, pélicans, signes noirs, colombes, perroquets, péruches ou encore Wallibi, je découvre chaque jour au fil de la route des animaux dont je ne pensais l’’existence possible que dans les comptes. Tous les 200 kilomètres de modeste hameaux font offices d’oasis pour les voyageurs de la Stuart. Station service, restaurant, pub, épicerie ou motel composent ces havres de paix, peuplé d’une cinquantaine d’habitants. En entrant dans la taverne, je suis d’un coup propulsé dans le far west américain ; des routiers s’entassent devant la télévision du bar, s’empiffrent de hot-dog, de burger et de cookies, ingurgitent bière après bière tandis que des trophées de chasses ornent les murs. À bord des voitures, la question sulfureuse de l’intégration des aborigènes revient fréquemment. Moi qui ignorais presque leur existence, je découvre ahuri un bien triste tableau. Dans les territoires du Nord, leur présence atteint près de 30 % de la population, grimpant jusqu’à 50 % à Alice Springs La plupart, exclut du marché de l’emploi, ne travaille pas et dépendent des allocations du gouvernement australien, en guise de compensation de la spoliation de leur terre par les colons britanniques. Cette situation irrite profondément la majorité des Australiens d’origine anglo-saxonne ; “Je me lève tous les matins pour bosser et payer les bières de ces sauvages”, me confie Graham exaspéré. “Les parents négligent leurs enfants, ne s’en occupent pas et leurs écoles sont désertes. De toute façon

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Timor oriental

Passeport tamponné, pouce levé, deux heures de trajet et me voilà arrivé à Dili, la capitale du Timor oriental. Je dois avouer que ce petit pays m’était totalement étranger jusqu’à ce que je le découvre sur la carte du monde, alors que je planifiais mon périple. Nation dont j’ignorais tout avant d’y mettre les pieds, si ce n’est que ce serait ma dernière destination en Asie, avant de rejoindre le 3ème continent de ce voyage : l’Océanie. Mes premières impressions de Dili me laissent néanmoins perplexe ; la misère y règne en maître. Des enfants aux regards implorants sillonnent les intersections en quête de quelques pièces, les habitations de bambou s’alignent comme des sentinelles de la pauvreté, et les déchets plastiques envahissent le paysage urbain tandis que tout le monde m’aboie dessus en portugais. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe. Dans ce tableau chaotique, Murcia au volant de sa berline climatisée m’interpelle. Après avoir baissé sa vitre teintée, retiré ses lunettes de soleil et enlevé ses AirPods, elle me fait signe de monter. Je lui explique ma situation et elle m’affirme avec assurance qu’elle a quelque chose pour moi, sans m’esquisser le moindre regard. Je passe 5 jours dans cette famille de binationaux, portuguo-timorais. La demeure de Murcia, avec ses airs de villa méditerranéenne, contraste vivement avec le décor extérieur. Le café au lait au petit-déjeuner, les salades de crudités au dîner, les transats pour lire, la douche chaude, la corbeille de fruits disposée sur la table principale et la bibliothèque de livres anglophones bien garnie ; autant de petits luxes qui me rappellent la douceur de l’Europe. Murcia y réside avec ses 2 sœurs, sa mère, 2 gouvernantes ainsi que ses 2 filles. Loin de l’ambiance macabre du film 8 femmes, ici tout le monde est aux petits soins avec moi. Comme à Toraja, je prends plaisir à m’enraciner, à prolonger mon séjour de manière spontanée car je me sens bien. Les filles de Murcia, initialement timides, s’ouvrent progressivement à moi, tandis que ses sœurs ne manquent pas une occasion de partager un café en ma compagnie. J’apprécie ces échanges avec chaque membre de la famille, qu’ils soient intrigués par mon projet ou désireux de me conter l’histoire de leur pays. Le Timor oriental, l’un des pays les plus jeunes de notre planète, est aussi l’un des moins connus. Portugais, japonais, indonésiens, puis indépendant depuis 2002, son histoire récente est émaillée de nombreux drames. Murcia a réussi échappé aux pires moments en fuyant dans les collines et les terres reculées du pays lors des bombardements indonésiens de 1999. Malheureusement, beaucoup de ses amis restés dans la capitale n’ont pas eu cette chance. Les chiffres glaçants des victimes, évalués à 100 000 par l’ONU, soit 20% de la population de l’époque, évoquent les horreurs vécues, comparables aux crimes des Khmers rouges. Un tel bilan est dramatique, tout le monde a perdu quelqu’un qui lui était cher. Désireux de partager mon aventure, de faire rêver les plus petits et d’inspirer la jeunesse timoraise qui en a bien besoin, je me rends au collège-lycée de la fille de Murcia. L’organisation de l’établissement, calquée sur le modèle portugais, m’offre les joies de renouer avec les méandres de la bureaucratie : « Tu ne peux pas rentrer dans une classe comme cela, il faut l’approbation de la directrice », m’explique la professeure d’anglais, néanmoins enthousiasmée par mon projet. Soit. Je suis reçu l’après-midi même par la directrice : « Excellente idée, merci d’être venu nous voir mais je dois d’abord consulter mes collègues ». Lorsque je lui explique que la professeure d’anglais est partante, elle se montre ambiguë et m’annonce : « Avec l’accord du corps enseignant, je demanderai une autorisation écrite du recteur et tu pourras ensuite intervenir ». Je ne cache pas mon exaspération mais pour être tranquille elle me demande mon email et me raccompagne à la sortie. Je n’y crois pas tellement et pars avec le sourire, la paperasse ne m’avait pas manqué ! N’ayant pas tellement d’occupation dans cette ville de 100 000 habitants, je frappe pour la première fois de ce voyage aux portes de l’ambassade de France. Reçu sans RDV par l’ambassadrice, je reste la journée à échanger avec elle. Dans son bureau où trône un buste de Marianne, où flotte un drapeau français ainsi qu’un portrait d’Emmanuel Macron accroché au mur, elle m’explique tout : l’histoire du pays, les défis à relever, le rôle que joue la France dans ce nouvel état ainsi que son quotidien en tant qu’expatriée. Elle me dévoile sa vie de privilégiée, similaire à bien des aspects de celle de Murcia, dans un pays frappé par la misère. Enfants scolarisés dans des écoles américaines privées, soins en Australie en prenant l’avion, plusieurs domestiques à son domicile et ne se gênant pas pour consommer des produits importés hors de prix. C’est la première fois de ma vie où j’assiste au sein d’une nation à une double société de manière aussi criante. Les inégalités sont colossales et le fossé entre les nantis et les plus privilégiés est abyssal ; il n’y a pas de classe moyenne. Les prix dans le seul supermarché de Dili sont exorbitants, bien plus chers qu’en France ! Mais qui donc peut débourser 4€ pour 400 grammes de pâtes ou 5€ pour un kilo de pommes, lorsque le salaire moyen est de 100€ ? L’un des seuls restaurants de la ville qui ne soit pas une gargote propose des coquillettes au saumon à 24€, et il est plein, j’hallucine ! Dans cette même rue, plusieurs Timorais font la manche, dont des enfants qui auraient toutes les raisons d’être à l’école ce mardi matin… Ce matin-là, à ma grande surprise, je reçois un courriel de la directrice d’établissement que j’avais rencontrée 3 jours plus tôt.Le recteur a donné son accord, et je suis invité à l’école des Adventistes de Dili. Les professeurs comptent sur moi pour intervenir auprès de 250 élèves ! Je passe trois demi-journées au sein de l’école.

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Réflexions sur Florès

À peine débarqué sur l’île de Florès, je suis pris en stop par une charmante famille. Le temps d’une journée, je visite en compagnie des parents et de leurs deux enfants les plages de sable fin, les collines verdoyantes aux allures de savanes ainsi que les nombreux panoramas desquels on contemple les dizaines d’îles de la baie de la Labuanbajo. La journée est agrémentée par de nombreuses conversations enrichissantes; la mère est anglophone et surtout enchantée par mon projet, mon enthousiasme et ma manière de voir le monde. Elle me pose cette intriguante question : “Comment t’on éduqué tes parents ?”. On ne me l’avait jamais demandé ! L’interrogation m’amène rapidement à réfléchir à ce qui me caractérise et surtout à identifier la force qui m’anime depuis plus de 400 jours sur la route. En repensant à mon enfance, je me revois en perpétuelle sollicitation, que ce soit par mes parents, mes frères ou mon environnement extérieur. Toutes ces stimulations m’ont amené à découvrir de manière quotidienne un tas de nouvelles choses et au fil du temps, découvrir est devenu une habitude et peut être même un besoin à satisfaire. Si dans un premier temps l’école a comblé mes attentes, en apprenant constamment de nouveaux sujets, je dois dire qu’arrivé à l’âge adulte, les voyages se sont avérés être la meilleure chose à mes yeux pour assouvir cette soif de découverte. Après un bon silence de 30 secondes, je réponds à instinctivement à ma conductrice qu’il s’agit de la la curiosité qui me pousse à avancer. Ce désir de voir ce qu’il se cache derrière la montagne est sans aucun doute le moteur le plus puissant et le plus durable de ce périple. Je conçois que cette notion de curiosité puisse en surprendre plus d’un, Français comme étranger. Premièrement la langue française connote ce mot de manière assez négative, mon dictionnaire des synonymes fournissant indiscret et intrus comme semblables à curieux. Deuxièmement, ce n’est pas une vertu partagée par nombre de peuples sur la planète. Souvent difficiles à saisir pour les locaux, ils demandent toujours “pourquoi” je fais ça. Les notables et les riches qui pourraient avoir les moyens de voyager se contentent de consommer davantage en biens matériels. En Indonésie, la majorité des habitants n’ont jamais explorer d’autre île que la leur. Ceux qui en ont les moyens n’en voient pas l’intérêt. Il y a également bien d’autres caractéristiques qui me définissent car je pense qu’il y a plus de curieux que d’individus entreprenant un tour du monde en stop. Pourtant, c’est cette soif de découverte et de nouveauté qui me motive. Notre planète et le genre humain sont si vastes. Chaque rencontre est unique. Chaque individu a une nouvelle histoire à me raconter, une nouvelle leçon à me prodiguer ou un foyer à me montrer… Quelques jours plus tard, je tends mon pouce en sortie de Ruteng, préfecture du Mangarai. Alors que j’attends au bord de la route dans l’espoir de trouver un véhicule pour parcourir une centaine de kilomètres, je suis le plus heureux des autostoppeurs lorsqu’un enseignant ne faisant que trois pauvres kilomètres s’arrête. Il m’invite à prendre le café chez son collègue et en une dizaine de minutes, la pièce se remplit des professeurs du lycée professionnel de la ville. Itchon sert d’interprète et nous passons l’après-midi à discuter de tout autour d’un bon café et de morceaux de poulet frit. Ils me proposent alors de les accompagner en classe verte deux jours plus tard. Il ne me faut pas longtemps pour accepter. Ce genre de proposition ne se refuse pas ! Le village de Colol porte bien son nom. Le parfait endroit pour une colo cool. Nous arrivons à 200 étudiants et 40 profs dans ce hameau d’une centaine d’âmes, perché dans les montagnes. Dans les environs du petit bourg, les rizières en terrasse de couleurs émeraudes et ors sont sculptées sur les collines et peuvent parfois s’étirer sur 50 niveaux. Quand la vue est dégagée, on aperçoit les clochers des villages avoisinants, la luxuriante forêt tropicale ainsi que les falaises d’où jaillissent de nombreuses cascades. Les allées pavées serpentant entre les maisons sont jalonnées de canaux d’irrigation en pierre, surplombés de passerelles en bambou. Les maisons en bois sont décorées dans des teintes pastelles et lorsque le soleil se reflète sur leur toit en tôle, le tableau du village de Colol se colore d’argent. Les caféiers font office de haies et délimitent le terrain entre les propriétés. Chaque famille récolte et concocte son café de manière artisanale et je me délecte de déguster les différentes préparations. Plus ou moins rôties, les graines sont tantôt grillées avec du gingembre, avec de la menthe ou nature et bien entendu, chaque foyer moue plus ou moins son café. Servi plus ou moins concentré, plus ou moins sucré, chaque tasse est unique et démontre toute l’importance que détient le café dans le Mangarai. Ici le café c’est tout un art ! Le prêtre de Colol nous accueille en tenue traditionnelle et me remarque rapidement dans l’auditoire. Flatté de recevoir un « Prancis » dans son modeste village, il m’invite à prendre la parole devant l’assemblée et me fait signe qu’il a une chambre de disponible dans son presbytère. Il m’héberge au même titre que le professeur de théologie, son camarade du séminaire. Avec la mousson, les coupures de courant sont la norme et nous partageons ainsi de nombreux repas avec pour seule lumière de grands cierges à l’effigie de la sainte Vierge. Il prend la peine de bénir chaque repas dans les quelques mots d’anglais qu’il maîtrise et me fait asseoir à sa droite, quel honneur ! Le principe de la classe verte est assez intéressant : les lycéens sont logés et nourris par les villageois en échange de réparer les tracteurs, mobylettes, groupes électrogènes et voitures des lieux. Pendant 4 jours, je vis au rythme des étudiants, découvrant en profondeur leur vie et la manière dont la communauté s’organise. Si je peux leur apprendre l’anglais, ils peuvent quant à

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Langues du monde

Sur les 3000 langues menacées dans le monde, près de 15% se trouvent en Indonésie, le pays qui en compte le plus d’entre elles. Les langues sont les supports de la pensée, les vecteurs de la communication mais surtout les gardiennes des traditions et des cultures ancestrales. Tant de rites, tant de coutumes et tant de mœurs persistent oralement mais sont à présent en danger face à la disparition progressive des langues vernaculaires qui les véhiculent. Lors de mon séjour à Jogjakarta, je rencontre les étudiants d’une ONG financée par des clubs de badminton français. Les jeunes sont réinsérés scolairement, pratiquent le badminton et surtout ils abandonnent les décharges de Java pour avoir un toit et des repas chauds. Autour d’un poisson préparé à la mode javanaise en mon honneur, nous abordons tous types de sujets : leur rêve, leur passion, leur vie familiale et leur projet futur. Parmi eux, je constate l’omniprésence de l’usage de l’indonésien, bien que ce ne soit la langue maternelle d’aucun d’entre eux. Cette lingua franca établie à l’indépendance du pays après la fin de la Seconde Guerre mondiale est la langue officielle de la République indonésienne. Sa facilité d’apprentissage est synonyme d’un faible lexique, d’un manque de nuance et d’un vocabulaire maigre, rendant difficile d’exprimer des points de vue complexes et de restituer les us ancestraux. À titre d’exemple, la langue Torajane comporte plus de 20 mots pour qualifier les buffles, en fonction de leur spécificité (cornes, robe, sabot, yeux..) l’indonésien seulement un. Des marchés aux bestiaux où l’on expose des centaines de races de buffles existeront encore dans un monde où on les décrit tous de la même manière ? Le javanais, langue native de 80 millions de personnes, se compose quant à lui de trois sous-langues, chacune dédiée à des individus de rang particulier. Il y a la langue que l’on emploie pour s’adresser aux personnes importantes, celle que l’on utilise avec ses parents et la dernière avec ses amis ou frères. Le vocabulaire, les préfixes, les tournures grammaticales et les structures de phrases varient d’une sous-langue à l’autre. Cette grande richesse, reflétant notamment l’importance des anciens et des ancêtres sur l’île de Java, périclitent de manière accélérée. “Je parle javanais uniquement avec mes grands-parents. Avec les copains et les potes d’internet on ne communique qu’en indonésien”, me confie un jeune de l’association. Sans locuteurs, une langue a-t-elle encore un avenir ? Qui sera présent dans 20 ans pour transmettre le javanais ? Le respect des anciens sera-t-il maintenu si la langue ne le permet plus ? Et les langues millénaires de l’Indonésie, qui pour les véhiculer ? Si ces langues disparaissent, c’est tout un pan de la culture et de la tradition qui va s’éteindre… Le monde est de plus en plus connecté et les langues régionales, destinées à communiquer avec ses proches géographiques, apparaissent pour beaucoup comme inutiles et dépassées à notre époque : autant apprendre la langue avec le plus de locuteurs. Les desseins a animés, les réseaux sociaux, les médias et surtout une mobilité bien plus accrue des personnes contribuent à répandre l’usage de la langue nationale au détriment des dialectes, et à une autre échelle de l’anglais sur les autres langues. Le patrimoine immatériel des cultures régionales semble donc voué à disparaître au profit des langues les plus parlées. L’Indonésie apparaît à mes yeux comme un exemple assez représentatif du monde au XXIe siècle. Partout sur la planète, l’anglais se voit tailler une place de plus en plus importante, que ce soit dans l’éducation, dans les expressions de la vie de tous les jours et surtout dans les entreprises : les langues nationales tendent à décliner. Les nouveaux mots ne sont pas traduits mais gardés tels quels depuis leur forme anglaise. Les anglicismes deviennent la norme à Almaty, Calcutta, Jakarta ou Bangkok : bubble tea, smartphone, take away, pick-up… ne sont que des exemples de ces nouveaux mots non traduits, même dans la langue de Molière… Un peu partout sur la planète, la nouvelle génération préfère apprendre une langue internationale plutôt que le patois régional : c’est plus utile professionnellement, c’est aux yeux de beaucoup d’étudiants le moyen de réussir, de s’intégrer et pour tous c’est plus cool de glisser un mot anglais de temps à autre. “Mon Tinder est en anglais, ça démontre mon statut, qui je suis”, me confiait un Arav, un hôte indien. Rejoindre la liset de diffusion Les riches cultures, les diverses ethnies s’uniformisent alors peu à peu dans une culture globish internationale. Ce goût pour le détail, cet amour de la diversité et du sens de la nuance qui s’estompe peu à peu me motive à m’engager davantage. La langue anglaise, bras armé de la culture occidentale, s’est répandue aux quatre coins du globe et les Indonésiens, les Cambodgiens, les Ouzbeks et les Népalais veulent tous parler comme l’Occidental, l’imiter et lui ressembler. Parler le globish permet de s’intégrer au monde, de revêtir les attributs de la mondialisation et ainsi de participer pleinement au XXIème siècle. Les peuples des différents pays ont alors naturellement bâti leur ville à l’image de leurs modèles. Avant de partir, je m’attendais à trouver bien davantage de spécificités aux grandes agglomérations. C’est sans doute cette grande uniformisation du monde qui me dégoûte peu à peu des villes ; elles se ressemblent toutes. Mêmes centres commerciaux, mêmes enseignes, mêmes voitures dans les rues, même style vestimentaire, même alimentation… « A Vientiane, va visiter le mall » me dit un jour me conducteur laotien. À l’exception de quelques monuments historiques, le charme et l’atmosphère que proposent les métropoles, sont loin de l’authenticité du monde rural, un monde préservé encore pour un temps de l’occidentalisation. Si les “buildings” au style futuriste ne diffèrent guère d’une cité à l’autre, les maisons de campagne, elles, sont toujours différentes. Plus que dans n’importe quel pays, je pousse les portes d’écoles. Je sensibilise les jeunes Indonésiens sur la précarité de leur langue maternelle, de leurs traditions et de leur mode de vie. Je fais prendre

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Le pays de Toraja

Voir une mère pleurer son fils est sans nul doute la chose la plus dure à laquelle j’ai assisté au cours de ce voyage. L’horloge affiche 9 heures lorsque j’arrive dans le paisible village de Bokin, réputé pour son café d’exception. Cependant, le destin en a décidé autrement, et l’heure n’est pas à la dégustation aujourd’hui. En approchant du bourg, une procession de femmes en noir, le visage creusé et miné par la tristesse, se dirigent sous quelques chapiteaux. Intrigué, je les suis jusqu’à me retrouver face à un rassemblement de 400 personnes, toutes silencieuses. De prime abord, j’ai l’impression de ne pas être à ma place et de pouvoir déranger ce moment solennel, mais un vieux monsieur aux cheveux grisonnants m’adresse un sourire et me fait signe de m’asseoir à ses côtés. Il me montre son t-shirt noir sur lequel figure une photo de Yussuf, ainsi que ses dates de naissance et de décès. L’effroi me saisit en réalisant que ce jeune homme est né le même jour et la même année que mon cousin ; il allait fêter ses 20 ans. On m’apporte des gâteaux, du vin de palme, de la peau de cochon grillée et quelques Mentos. Je commence à discuter avec mes voisins de chapiteaux, parlant un anglais scolaire mais suffisant. Des camarades de classe, des voisins, des cousins et des connaissances viennent tous rendre un dernier hommage à celui qui a perdu la vie dans un accident de scooter la semaine précédente. Je fais alors le lien avec la croix en bois érigée il y a deux jours à la sortie de Rante Pao. Je réalise que je participe aux funérailles de celui dont toute la ville parle. Puis une musique religieuse se fait entendre et une dame d’une quarantaine d’années, vêtue d’un linceul blanc, me sourit et me demande si j’ai besoin de quoi que ce soit. Rétorquant que non, elle me fait signe de la suivre avec un large sourire. Les proches pénètrent dans une petite pièce où repose le cercueil verni. La musique change de rythme et les 4 frères de Yussuf ouvrent le cercueil. Je découvre avec épouvante le corps inanimé du jeune homme. Son visage bleu, marqué par les blessures de l’accident, ne manque pas de bouleverser l’assemblée. La foule gémit, pleure et hurle dans cette pièce exiguë de 25 mètres carrés. Puis, poussant un cri déchirant, la grand-mère s’évanouit, suivie de la tante et de la dame en linceul blanc. On m’apprend qu’il s’agit de la mère de Yussuf. Les cousins l’évacuent dans un océan de sanglots, tout la pièce est en larme. Un des frères, dans un autre éclat de désespoir, saisit le cadavre et le secoue, comme pour le ramener à la vie. Aussitôt après avoir repris ses esprits, la mère fonce vers le corps de son fils, paniqué et horrifiée. Sa détresse est palpable et me touche profondément. J’oublie un temps la foule oppressante pour admirer la scène déchirante d’une mère réalisant que son fils a perdu la vie. Tout son désarroi se lit sur son visage, un visage que je suis certain de ne jamais oublier. L’événement m’affecte au plus au point, c’est la première fois de ma vie que j’assiste aux obsèques d’une personne plus jeune que moi. Liste de diffusion Le pays de Toraja, célèbre pour ses cérémonies et rituels funéraires où des buffles sont sacrifiés, souvent par dizaines, m’offre aujourd’hui un visage bien différent. Aucun buffle n’est mis à mort, l’heure ne semble pas être à la tradition ou au rite mais à la peine, au chagrin et à la tristesse. Je vous rassure, cette région vaste comme la Meurthe-et-Moselle ne se résume pas à un royaume des morts. En réalité, c’est peut-être l’endroit où j’ai rencontré les gens les plus aimables et accueillants de tout mon voyage. Une simple demande d’orientation pour savoir où installer ma tente se transformait systématiquement en invitation à passer la nuit chez l’habitant. C’est ainsi que je séjourne une semaine chez Nelce et son adorable famille. Elle vit avec sa sœur, son père, son fils et sa fille. Je retrouve alors la chaleur d’un foyer, le plaisir de sourire à des enfants chaque matin, de jouer aux cartes avec un grand-père en prenant mon café ou encore de ne pas ranger ma brosse à dents tous les soirs. L’incertitude liée aux repas et à l’hébergement n’est plus, je peux pleinement me concentrer sur la découverte des environs. Je suis alors les nombreux conseils de Nelce qui me recommande les villages à visiter, les panoramas à observer et les marchés à ne pas manquer. Les petits hameaux, perchés dans les montagnes, apparaissent comme coupés de la civilisation. Les routes menant à ces bourgades sont rarement goudronnées, les hommes travaillent leurs rizières sans machine et les paysages enchanteurs me donnent l’impression d’un autre monde, à l’image de Huay Bo au Laos. Chaque village abrite plusieurs églises, le peuple de Toraja étant majoritairement chrétien. Pour la première fois depuis un an, (depuis la Géorgie) des croix, des statues de Jésus et d’autres symboles chrétiens ornent les montagnes. A l’heure de la messe, les églises sont pleines et les fidèles parfois trop nombreux n’hésitent pas à installer des chaises et des chapiteaux pour suivre l’office depuis le parvis. Mon prénom, associé à l’évangéliste Luc (connu sous le nom de Luka par les Indonésiens), m’attire la sympathie des habitants et suscite des invitations à partager un café ou un repas. Les villages, caractérisés par leurs Tongkhonan, qui signifient littéralement “viens et assieds-toi” en dialecte local, servent à la fois de résidences traditionnelles et de greniers à blé. Leur forme, semblable à celle d’un bateau renversé, est ornée de sculptures, de peintures et de décorations représentant une centaine de motifs différents. J’ai la chance de mettre la main sur un livre en anglais qui explique la signification de ces motifs, évoquant tantôt la fertilité des terres, l’amour familial, la santé des nouveau-nés… Selon certaines légendes, la forme caractéristique des Tongkhonan trouve

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Marche des volcans

Atteindre le cap d’un an de voyage a constitué un moment particulièrement poignant. Comment ne pas se retourner pour contempler le chemin parcouru et les moments forts de ces 365 jours sur la route ? De manière paradoxale, au cours de ce périple en autostop, l’expérience qui a le plus comblé mes attentes fut la marche du sel en Inde. Chaque élément constitutif de cette aventure m’a apporté une satisfaction totale : la performance physique, la découverte d’un monde rural oublié, ou encore la symbiose avec les habitants. Pendant huit jours, j’ai réussi à partager tous mes repas avec des Indiens et chaque soir, j’ai trouvé refuge grâce à leur générosité. Une immersion parfaite que je souhaitais absolument revivre lors de ce séjour en Indonésie. Permettez-moi alors de vous présenter la marche des volcans : 5 jours d’aventure dans les campagnes javanaises… Je débute mon périple au pied du somptueux temple de Borobudur. Après avoir quitté les faubourgs de la ville, je me retrouve rapidement plongé au cœur des rizières et des plantations. La circulation se limite à quelques scooters chargés de sacs de riz et de cagettes de fruits. En traversant des villages que la mondialisation semble avoir oubliés, je remarque des habitations modestes, construites en bois ou en agglos épars, abritant les travailleurs qui veillent à nourrir la population indonésienne. Les cafés, restaurants et autres vendeurs de bubble tea qui animaient chaque rue des bourgades plus importantes ont tous disparu. Les seuls commerces sont des épiceries de dépannage vendant principalement des cigarettes, des nouilles instantanées et des bouteilles de coca. Les loisirs semblent avoir disparus ici … La route s’élève peu à peu et avec elle le paysage se transforme. Alors que les rizières en terrasses occupent les contreforts des volcans, les cultures d’oignons, de radis et de piments prennent progressivement le relais à mesure que j’atteins des altitudes plus élevées. Les matins précédant la mousson, les agriculteurs s’activent à labourer la terre, ameublir le sol ou à récolter leurs semences. Aucune machine n’est en vue, tout le travail s’accomplit manuellement, à la force humaine, et les parcelles qui s’étendent à perte de vue forment ensemble un gigantesque potager. Papaye, avocat, thé, cacao, poireau et pomme de terre sont les dernières plantations avant les dernières forêts de la montagne. Au crépuscule, j’atteins un marché populaire à la recherche d’un abri pour la nuit. On m’apprend qu’il n’y a ni hôtel, ni chambre d’hôte, et qu’il serait préférable de retourner en ville : inimaginable après 30 kilomètres de marche, je ne souhaite pas faire demi tour ! Sympathisant avec quelques jeunes qui traînent, je leur expose ma situation, précisant simplement que je cherche un petit coin de sol pour étendre mon matelas. Le visage d’Ikbad s’illumine alors, et il me fait signe de le suivre. Dix minutes plus tard, me voilà installé dans sa demeure, où sa mère m’apporte une généreuse portion de nouilles aux œufs, son père dispose un épais matelas dans le salon, et Ikbad revient avec une grande tasse de chocolat chaud. Ce court laps de temps, durant lequel je passe de simple vagabond à invité choyé, où mes hôtes font tout pour mon bonheur, provoque à chaque fois une émotion unique et enivrante. La générosité humaine et cette capacité de briser la glace avec des parfaits inconnus, de tous les milieux sociaux, de toutes les cultures et de toutes les religions est sans doute l’une des plus grandes satisfactions de ce voyage. Le lendemain en fin de journée, un scooter me klaxonne, je souris naturellement puis le véhicule s’arrête. Un Indonésien de mon âge, manifestement intrigué par la présence d’un étranger dans son village, me bombarde de questions avant de me proposer spontanément de venir dîner chez lui. Sa mère, sa sœur, ainsi que quelques amies, m’accueillent chaleureusement tandis que les hommes du village sont encore aux champs. Le sol en glaise et l’escalier menaçant de s’effondrer me laissent perplexe quant à l’état de la maison, s’il est achevé ou en cours de travaux. Eko me tend une assiette de riz mélangé aux nouilles, qui chauffent constamment au-dessus du feu. À l’aide du traducteur, j’explique mon périple. Leurs regards interrogateurs font écho à ma perplexité initiale. En chœur, ils me demandent pourquoi je voyage. Leur question confirme mes interrogations des premiers jours et met en lumière des réalités plutôt dramatiques. Dans ces campagnes indonésiennes, la vie est entièrement axée sur le travail, sans place pour de l’amusement. On se contente de subsister. Si les activités telles que le sport, les loisirs, et les voyages sont inconnues, la famille est également un concept flou. Les repas ne sont jamais partagés, chacun se servant à sa guise dans la grosse marmite qui conserve le riz à température toute la journée. À 23 ans, Eko est marié et père d’un enfant de 10 mois. Tout au long de la soirée, il ne prononce pas un mot pour sa femme ni même pour son fils. Les échanges avec les autres membres de sa famille sont limités et principalement factuels. Eko ne sait pas si sa petite sœur étudie encore ni même l’âge de son frère. Plus tard dans la soirée, alors que nous nous réchauffons autour du feu, le père de famille rentre des champs. Il a le visage balafré, fatigué, semble exténué mais ne dégage pourtant aucune émotion. Ma présence sous son toit ne le surprend pas plus que ça, il se contente de demander une photo pour la partager avec ses amis sur WhatsApp. Mon séjour chez Eko me questionne beaucoup. Sa famille fait sans doute partie des gens les plus démunis m’ayant reçu. Ils ont une maison de fortune, se nourrissent exclusivement de féculents, et toute leur vie oscille entre les champs et tuer le temps à la maison. Pourtant, ils me reçoivent comme l’un des leurs, avec une générosité sans égale. Les jours suivants je trouve tout aussi facilement un refuge chez les locaux. Lorsque je marche, je prends le temps. Un temps que je

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Mesure et démesure

“La nostalgie, toutes les mélancoliesLe réveil de l’Asie, Boulogne aux travestis” -Michel Sardou Pendant longtemps, j’ai cru que le carrefour des mondes se trouvait en Asie centrale, quelque part entre l’Europe et la Chine, mais pardonnez moi je ne connaissais pas la Malaisie. Située à l’extrême Sud-Est de l’Eurasie, la péninsule malaise dévoile un visage multiculturel unique au monde. Au cours du dernier millénaire, Chinois, Indiens et Musulmans se sont rassemblés sur cette étroite bande de terre, à peine plus grande que le Portugal, pour commercer et ériger un véritable État cosmopolite. Jamais dans l’histoire, des peuples aux cultures et aux mœurs si contrastées ne s’étaient retrouvés à vivre et à cohabiter ensemble sur un même territoire. Ma première impression une fois en Malaisie est toutefois celle d’un retour dans le passé. En parcourant la ville de Kangar pour changer mes bahts thaïlandais en ringgit malais, je traverse en l’espace de 100 mètres d’un restaurant chinois à un temple indien, puis à une boucherie halal. Les écritures latines, tamoules, chinoises et arabiques se côtoient au même titre que les habitants, tous d’ethnie différente. Je me revois tendre mon pouce sur les routes turques, indiennes ou chinoises. À présent, ces trois univers se regroupent en un seul : la fédération malaise. Comme pour un dernier adieu au continent asiatique, ces trois cultures qui m’ont si bien accueilli m’adressent un dernier au revoir… Au même titre qu’en Thaïlande, au Vietnam ou en Mongolie, l’autostop est très facile, à la grande différence que cette fois-ci, les locaux s’expriment tous dans un bon anglais. Quelle joie que de pouvoir converser aisément et de s’immerger concrètement dans la culture locale. L’heure est toujours au multiculturalisme ; lors de ma première journée de stop, j’ai été pris par un marchand de sari, un imam et ingénieur informatique d’origine chinoise. Sur la route de Kuala Lumpur, je suis embarqué par John, un Malais ayant étudié au Royaume-Uni, conduisant fièrement sa nouvelle “Proton” électrique. Cette marque malaise produit de splendides SUV électriques avec toutes les options, n’ayant rien à envier aux constructeurs européens. Mon conducteur du jour prend alors plaisir à m’expliquer les récents progrès des compagnies malaisiennes, véritable reflet de ce boom que connaît l’Asie depuis une trentaine d’années…   L’une des plus grandes surprises de ce voyage a été la découverte de l’éveil de l’Asie. Avant de partir, je pensais que le monde développé se cantonnait à l’Europe, aux pays anglo-saxons, et à quelques exceptions telles que le Japon, Singapour, ou le Panama. Je savais que les habitants des dragons asiatiques avaient des niveaux de vie similaires aux nôtres, mais cela m’aparaissait marginal sur ce continent de 5 milliards d’individus. J’imaginai les Indiens, les Chinois, ou encore les Indonésiens comme mon père les avait connus dans sa jeunesse, des peuples du tiers monde dont l’objectif en se levant était simplement de remplir leur assiette du dîner. En un an sur les routes, j’ai été émerveillé par les gratte-ciel de Bakou, l’opulence des quartiers d’affaires indiens, les voitures électriques luxueuses vietnamiennes, et les mégalopoles futuristes chinoises. La Thaïlande, la Malaisie, ou le Kazakhstan semblent sans doute bien plus prospères que certains pays d’Europe de l’Est ou des Balkans. La croissance économique de cette région du monde au cours des dernières décennies est sans doute comparable à celle de l’Occident pendant les trente glorieuses. Si la pauvreté subsiste, la misère a disparu, et le quotidien des Asiatiques évolue de plus en plus vers le nôtre, jonglant entre travail, loisirs, voyage, famille, etc. Je ne m’attendais pas non plus à ce que l’Asie soit le continent de tous les extrêmes. La ville de Wuhan est plus peuplée que la Belgique, l’Indonésie s’étend sur 4000 km, (l’équivalent de la distance Atlantique-Oural), la Mongolie connaît une amplitude thermique de 80 degrés Celsius, l’Uttar Pradesh simple région indienne compte plus d’habitants que la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne réunies, et la seule île de Java regroupe plus de musulmans que tout le Maghreb. Tous les huit ans, l’Inde double sa production électrique. En Indonésie, 20 km d’autoroutes à six voies sont construits chaque jour, tandis qu’en Chine, un nouveau milliardaire est célébré quotidiennement. En une génération, les Cambodgiens sont passés de la famine généralisée et de l’illettrisme à une nation touristique où chacun mange à sa faim. En 25 ans, les Thaïlandais ont troqué leur vélo pour des pick-up Toyota, tandis que les fils des nomades mongoles peuvent désormais partir étudier en Allemagne. Ou encore les vietnamiens, doublant leur exportation de produit électronique tous les 5 ans. Je pourrais continuer longtemps cette longue énumération de faits et de chiffres, mais j’espère vous avoir donné un bel aperçu de ce qu’est l’Asie en 2024. Ces données peuvent donner le vertige, mais elles révèlent concrètement ce qu’est ce continent méconnu, oscillant entre mesure et démesure. John prend la peine de me conduire directement devant les mythiques tours Petronas, et me voilà à Kuala Lumpur ! Tout de verre revêtues, mon mètre 87 est négligeable face aux 450 mètres de cette construction datant d’il y a 25 ans. Comment ne pas être ébloui par ces tours jumelles dépassant de 100 mètres la Tour Eiffel ? Comme un symbole, ce fleuron architectural vient surpasser les chefs-d’œuvre du vieux monde. C’est sans doute la face visible de l’iceberg en ce qui concerne le surclassement des nations asiatiques par rapport aux nôtres. Si ma grand-mère m’a souvent répété de finir mon assiette car un petit Chinois se ferait une joie de le faire, je crois qu’il faut à présent dire à nos enfants de bien faire leurs devoirs s’ils ne veulent pas voir les Malais, les Indiens, ou les Thaïlandais prendre leur travail.

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Sumatra

Je jette un dernier regard à l’horizon, un ultime adieu à l’Eurasie. La skyline de Malacca disparaît lentement dans le sillon du speedboat, pourfendant les eaux et contournant inlassablement les porte-conteneurs qui nous entourent par centaine : le détroit est une banale autoroute. Il faut avouer que les 80 km séparant la péninsule malaise de l’Indonésie sont parmi les plus importants de la planète, c’est une artère primordiale du commerce mondial. Après tant de temps sur le continent asiatique, me voici à présent à l’assaut des îles de la Sonde : Sumatra, Java, Célèbes, Florès, Timor… Des noms magiques qui font rêver et qui deviennent aujourd’hui réalité. Si, depuis la France, on pourrait envisager l’Indonésie comme un amas de confettis éparpillés sur la carte du monde, poser le pied sur Sumatra me fait rapidement réaliser la grandeur de ces “confettis”. Cette seule île est plus peuplée que l’Hexagone et s’étend sur 2000 kilomètres de long, soit deux fois la distance de Perpignan à Dunkerque. Aussitôt débarqué, je commence mon exercice favori ; tendre le pouce sur les routes du monde. La première expérience dans un nouveau pays est toujours palpitante, une multitude de questions traversent mon esprit… Est-ce facile de faire de l’auto-stop ici ? Qui va s’arrêter ? Les Indonésiens parlent-ils anglais ? Nassima va vite m’apporter des réponses. Après deux minutes d’attente au bord de la route, sa vieille Toyota bleue me fait des appels de phares puis se gare quelques mètres plus loin. Affichant un large sourire, elle me fait signe de monter, me propose des dukus (fruit indonésien) et me demande ma destination. L’aventure indonésienne peut commencer ! Liste de diffusion La “voie rapide” qui traverse l’île est ponctuée de collines, de nids de poule, d’épingles à cheveux et d’enfants jouant sur la chaussée. Le trafic y est démesuré : piétons, scooters, voitures, camions, tuk-tuks, et autres s’entassent sur la seule route bitumée de Sumatra. Les deux voies sont en permanence occupées. Dès qu’un espace se libère, les Indonésiens en profitent soit pour doubler soit pour commercer. En effet les marchands ambulants, désireux de vendre aux automobilistes, n’hésitent pas à s’implanter sur la chaussée, congestionnant encore plus la circulation. Dépasser les 40 km/h relève du miracle sur ici. Grâce à la magie du stop, je fais la connaissance Rio, jeune étudiant et motard casse-cou, qui me propose de venir séjourner chez lui. Nous quittons alors la route principale et après une dizaine de kilomètres de pistes, à respirer la poussière et les fumées des pots d’échappement à l’arrière de son deux-roues, nous arrivons devant sa charmante demeure. Accueilli par sa famille, ses voisins, ses amis et quelques passants, ce ne sont pas moins de 20 personnes qui tourbillonnent autour de moi pour prendre des selfies, me serrer la main ou m’assaillir de questions. Leur joie est plus que communicative. Chacun sourit et s’amuse de voir un étranger dans son si modeste village. Le soir venu, nous dégustons une grosse platée de riz, accompagnée d’œufs et de sardines. J’en profite pour dévoiler mon voyage à Rio, ce qui ne manque pas de l’impressionner. Nous passons la soirée à discuter de nombreux sujets par l’intermédiaire de Google Traduction. Rio m’explique sa tolérance vis-à-vis des étrangers, des Indonésiens non musulmans et de l’inconnu en général : “toutes les religions sont unies et se défendent en Indonésie. Pourquoi traiter différemment des personnes en fonction de leur croyance ?”. Je suis fasciné de rencontrer quelqu’un d’aussi jeune, venant d’un endroit aussi reculé, avec une telle ouverture d’esprit. Si seulement plus de monde pouvait penser comme lui… Il incarne à lui seul la raison de pourquoi je voyage : rencontrer des personnes inspirantes et ouvertes d’esprit qui laisseront pour toujours une place spéciale dans ma mémoire. Je voyage pour vivre ces moments éphémères d’une unicité inégalée. Le lendemain, je reprends la route le cœur serré. Il n’est pas toujours simple de quitter un foyer où l’on se sent bien. Rio m’aide à trouver un véhicule pour la prochaine destination : Jambi. Les forêts de palmiers à huile dessinent le seul paysage du trajet. Rien d’autre à l’horizon si ce n’est quelques semblants de maisons en bois. Cette monoculture génère des statistiques impressionnantes, comme le fait que 50% de l’huile de palme mondiale provienne de Sumatra. Cependant, elle rend la vie de millions d’individus tributaire de cette denrée. Le long de la route, j’observe des pépinières de palmiers, des usines de transformation, des hectares de forêts primaires abattus, des entrepôts d’huile de palme ou tout simplement la myriade de camions transportant tout cela. C’est toute l’île qui vit autour de l’huile de palme et qui détruit inexorablement son joyaux vieux de plusieurs millions d’années ; la jungle tropicale. Les soirs suivants, j’improvise pour me loger. Matelas étendu dans un restaurant, logé grâce à Couchsurfing ou simplement dans les salles de repos adossées aux stations services. L’incertitude vis-à-vis de la nuit n’est plus la même depuis quelques temps. Si auparavant je redoutais ce moment de la journée, mon expérience mongole m’aura fait prendre conscience que rien n’est pire que de ne pas trouver un logement par -25°C. Lorsqu’il fait chaud et que le pays n’est pas dangereux, je n’ai rien à craindre. Dans le pire des cas, je pourrai toujours planter la toile. Trouver un hébergement est simplement devenu une occupation supplémentaire. En Indonésie mon irruption dans les restaurants, marchés, station-essence et autres lieux publics provoque à chaque fois des scènes de ferveur et de liesses, à la limite de l’hystérie, qu’il m’est difficile de retranscrire par de simples mots. Au même titre que dans le village de Rio ou en Inde, les locaux se mettent en cercle, rigolent, m’alpaguent, m’agrippe ou me hurle dessus. Lors de ces attroupements on m’invective sans cesse ; “What is your name? How are you? Selfie? Come brother…”, sans compter les apostrophes en langue locale, incompréhensible pour moi. Les mères me montrent alors des photos de leurs filles, les hommes me proposent des cigarettes tandis que les demoiselles rougissent on

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Koh Lanta

Koh Lanta. À la simple évocation de ce nom mythique, mon souffle s’accélère, mes poils se dressent, et tout mon corps est traversé d’un frisson immédiat. Les souvenirs des vendredis soirs de mon enfance, passés à observer les péripéties des aventuriers, demeurent toujours vivaces dans ma mémoire. Et pourquoi ne pas tenter l’aventure moi-même ? Animé par le désir de suivre les pas des tout premiers naufragés, je prends la décision spontanée de faire un léger détour sur mon itinéraire. En chemin, le destin me sourit lorsque je fais la rencontre d’une famille thaïlandaise aussi accueillante que chaleureuse. En plus de m’inviter à déjeuner et de m’avancer de 500 km, le couple se propose de faire des détours pour me faire découvrir la région. Monastère, Naga – sculpture de serpent – géant et ferme à pastèque rythment l’après-midi. En fin de journée, ils m’invitent chez eux et je partage un délicieux repas en compagnie de la grand-mère, des parents, de leurs enfants ainsi que de leurs frères et sœurs. Le poisson trône en maître sur la table, la mer se rapproche… Quelques coups de pouce supplémentaires et une expérience de ferry-stop réussie me conduisent sur l’île des héros de ma jeunesse. Bien que préservée à certains endroits, elle est largement touchée par le tourisme de masse ; les Russes, les Chinois, les Américains et les Européens s’entassent sur les plages, dans les restaurants et les salons de massages de l’île. Les répercussions de ce tourisme sont considérables tant pour les populations locales que pour l’environnement. Les paysans ont transformé leurs propriétés en bungalows, devenant ainsi hôteliers, les pêcheurs ont abandonné leurs filets pour proposer des tours en bateau longue-queue, tandis que les femmes au foyer se sont tournées vers la restauration ou la conduite de tuktuk. Certes, ces nouvelles activités sont plus lucratives, mais est-ce une bonne chose lorsque le tourisme “dénature” et transforme des villes et villages ? En ville et dans mes divers hébergements, je fais la rencontre d’une palette variée de voyageurs : des familles avec quatre enfants, des entrepreneurs des réseaux sociaux aux nomades digitaux. Côtoyer ces individus en chair et en os renforce ma conviction quant à la beauté d’internet. Si aujourd’hui je peux converser en visio avec ma famille, d’autres utilisent ces outils numériques pour leur travail et se permettent de vivre à des latitudes bien plus hospitalières où le pouvoir d’achat est nettement supérieur aux pays occidentaux. Une fois sur la plage j’ai même vu un homme en costume effectuer une réunion. Un autre jour, c’était une femme remplissant un gigantesque tableau Excel les pieds dans l’eau. Plus que jamais, internet et la révolution digitale ont créé des opportunités pour des métiers variés ; vendeur en e-commerce, freelance, auteur d’e-book, ingénieur informatique, créateur de contenu, permettant à tous de résider où bon leur semble, de travailler quelques heures par jour (avec un salaire européen, un simple mi-temps permettant de vivre confortablement en Thaïlande) et de s’affranchir des contraintes traditionnelles. Inconcevable il y a 10 ans, ces personnalités sont la preuve que l’on peut vivre ses rêves tout en vivant sa vie. Sympathisant avec certains, j’écoute leurs conseils pour partir une journée sur l’île de Koh Rok. Renommée pour ses coraux exceptionnels, c’est également le lieu du tout premier tournage de Koh Lanta, à une vingtaine de kilomètres de l’île du même nom. En posant le pied sur Koh Rok, l’émotion m’envahit. Je me dirige alors vers l’endroit précis où les tout premiers naufragés ont établi leur campement en 2001. Denis Brognart n’était pas encore le présentateur emblématique, les tours jumelles étaient encore debout et je venais tout juste d’apprendre à marcher. Après 1 an d’aventure, je marche à présent sur les traces de Tehura, Freddy ou encore Moundir. Un rêve de plus se réalise. Muni d’un masque et d’un tuba, je m’aventure à explorer les récifs coralliens, une première pour moi. Bien que sceptique au départ quant à cette expérience, mes premières secondes sous l’eau font rapidement oublier le coût de l’expédition, me plongeant ainsi dans le monde fascinant de Nemo. Comme si j’étais dans un immense aquarium naturel, je reste sans voix devant la diversité éblouissante de poissons aux couleurs vives, évoluant gracieusement de corail en corail, d’anémone en anémone. À quelques centimètres de moi, ces créatures multicolores créent un spectacle éblouissant. Cependant, cette immersion idyllique est entachée par l’indifférence de certains touristes, peu soucieux de la faune et de la flore marines, qui n’hésitent pas à piétiner les coraux, les endommageant de manière irréversible. Aucune mesure préventive n’est mise en place par les animateurs, et il est déconcertant de constater que certains visiteurs, ne sachant même pas nager, tentent inlassablement de capturer des poissons ou de prélever des morceaux de corail. Quel horreur. Les coraux des plages touristiques, autrefois riches, abondants et colorés, sont maintenant réduits à l’état de ruines. Le spot préservé de Koh Rok, accessible uniquement par bateau privé, témoigne encore d’une certaine conservation, mais pour combien de temps ? À ce rythme effréné, l’imaginaire des somptueux récifs et des merveilles océaniques laisse place à la réalité alarmante de leur disparition imminente. Si les conséquences du réchauffement climatique sont souvent évoquées à la télévision, rien n’égale l’impact de les observer de ses propres yeux. Les débats télévisés, saturés de chiffres et de statistiques, peinent à transmettre l’urgence de la situation. Ici, dans l’archipel de Koh Lanta, les conséquences directes de l’activité humaine sur la nature prennent une forme tangible et inquiétante, soulignant la nécessité pressante d’une action collective pour préserver notre planète.

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